Un oiseau de nuit

Le trajet jusqu’à la capitale du Yunnan fut plus long que nous ne pensions. Mais plus encore nous perdîmes du temps à notre arrivée à la gare routière où il fallut se « battre » avec les chauffeurs de taxis, puis réussir à expliquer à celui que nous choisîmes – le seul qui accepta de déclancher son compteur – où nous voulions aller : nous n’avions ni le nom ni l’adresse de l’établissement en chinois. Je m’essayai donc, en consultant mon plan en français et ses translittérations des noms de rue, à « parler » chinois. A notre grande surprise – j’en étais fier sur le moment –, le chauffeur comprit à quel carrefour je voulais qu’il nous déposât. Durant cette longue course, nous traversâmes des quartiers sans charme ni contraste, qui m’inquiétèrent un peu quant à la prétendue douceur de vivre de la « cité du printemps éternel », réputée pour son climat tempéré dû à l’altitude de la ville (1800 mètres).

Une fois arrivés à l’auberge de jeunesse – Ming Tong Yin Xiang Youth Hostel –, ce fut toujours aussi difficile. Le personnel ne parlait pas un mot d’anglais – étonnant pour un établissement recommandé dans des guides bien connus… Nous finîmes par obtenir une immense chambre sans salle de bain assez agréable en journée mais rendue glaciale en soirée par un éclairage aux néons. Pour la première fois, nous nous retrouvâmes sans Internet – seconde mauvaise surprise après le problème linguistique. Surprenante capitale qui nous sembla « en retard » sur la province environnante en raison d’un mauvais choix d’hébergement.

C’est donc vers cinq heures que nous commençâmes notre balade dans la ville. Nous remontâmes à pied de grands boulevards gris à la circulation dense. Nous traversâmes la rivière Panlong, aux allures d’égout, avant de rejoindre le temple Yuantong, qui hélas avait déjà fermé ses portes. Nous continuâmes notre chemin jusqu’au parc Cuihu, où nous pûmes enfin souffler. Le parc, avec ses étangs, ses lotus, ses pavillons, ses ponts, ses promeneurs, ses amoureux, ses danseurs et musiciens, est très agréable.
 


 

Nous y restâmes un long moment, le parcourant de long en large, profitant de ses animations et nous offrant une pause gourmande avec une bonne glace à l’italienne dégustée sur un banc face à un étang couvert de lotus ; moment très agréable et romantique dont nous ignorions naïvement les conséquences.

Nous nous dirigeâmes ensuite vers les Hutongs – vieux quartiers typiques de la Chine avec des maisons basses et des vieilles cours intérieures – en voie de disparition un peu partout et qui laissent place aujourd’hui à des tours ultramodernes ou à des faux vieux quartiers au style trop propret. Ici aussi, nous arrivâmes trop tard. La nuit s’installait doucement et les marchés locaux avaient déjà fermé leurs portes. Nous continuâmes donc encore deux cents mètres et nous nous retrouvâmes au cœur d’un petit Shanghai, qui avait revêtu ses habits de lumière.

Nous marchâmes d’abord à l’abri de platanes, « les arbres des Français » comme ils sont surnommés ici. Au temps des colonies, Kunming fut en quelque sorte la succursale de l’Indochine. La France, qui avait infligé une nouvelle humiliation militaire à la Chine – rajoutant à celles infligées par les Britanniques –, afin d’accroître ses affaires en Chine et de tenter de mettre la main sur le juteux commerce de l’opium, obtint comme trophée de guerre la possibilité de construire une ligne ferroviaire reliant Kunming à Hanoi et la possibilité de s’implanter librement dans cette dernière pour y commercer à son aise. Simplement les Français, plus subtiles, plus hypocrites, laissèrent la ville sous administration chinoise, bien qu’ils y exerçassent une forte influence. Aujourd’hui, il ne reste que les platanes et la voie ferrée hors service – qui a son musée à Kunming – pour témoigner de cette époque.

Les tours de verre ont remplacé les villas « coloniales », les centres commerciaux et les boutiques luxueuses draguent les passants, écrasés par les publicités géantes des firmes internationales. C’est dans cette atmosphère surréaliste des nouvelles villes chinoises que nous nous retrouvâmes plongés. Tout est grand, large, brillant, saturé de couleurs. Une sorte de caricature – de parodie ? – capitaliste qui en dit long sur la vraie nature du régime…

Nous poursuivîmes encore un peu notre balade nocturne jusqu’aux deux pagodes – celle de l’Est et celle de l’Ouest. L’heure était déjà avancée, et nous eûmes du mal à trouver un restaurant pour nous servir à manger – nous pûmes néanmoins goûter la spécialité de la ville, les « nouilles qui traversent le pont ». En traversant encore une fois le centre ultramoderne pour regagner notre modeste hôtel, je me disais que Kunming la moderne était de ces villes qu’il vaut mieux voir le soir. Une sorte de Cendrillon qui perdrait ses charmes au lever du jour.

Du printemps à l’âge de glace

Le réveil fut difficile : douleurs abdominales, mauvais sommeil. Je me sentais faible, légèrement fiévreux et écoeuré. Mais pas question de rester à l’hôtel ; un gros programme nous attendait. Nous partîmes donc en bus, tout au nord de la ville, pour visiter le temple d’Or. La traversée de la ville en bus fut encore supportable : c’était une visite au moindre effort. Mais quand il fallut gravir les nombreuses marches menant au temple, je sentis que je n’étais vraiment pas dans mon assiette.

C’est alors que Katya commença à ressentir les mêmes symptômes. Nous comprîmes aussitôt que c’était là notre punition pour notre gourmandise au parc Cuihu. La glace à l’italienne si savoureuse et… si toxique. Erreur de « débutant » voyageur.

Nous tentâmes d’apprécier autant qu’il se pût la visite du très beau temple et de son parc, mais le temps lui-même semblait contrarié, et la pluie s’invita. Après la visite, nous regagnâmes le centre-ville et notre hôtel. Nous projetions d’aller sur les monts de l’Ouest, pour profiter de la vue sur le lac Dian, à la manière de ce que nous avions fait à Dali. Le personnel de l’hôtel, grâce à la traduction de touristes pékinois de passage, nous expliqua que c’était loin, qu’il était trop tard pour en profiter. Cette nouvelle finit de nous démotiver, et, fatigués et malades, nous allâmes nous enfermer dans notre chambre jusqu’au soir. J’enrageais d’être cloué là à cause d’une glace.

J’étais si mal en point que j’éprouvai – pour la première fois dans ma vie – un dégoût pour la nourriture chinoise. Le soir, nous sortîmes timidement de notre hôtel pour aller manger une pizza et des pâtes arrosées d’un coca dans un resto d’une chaîne occidentale. Etrange réflexe qui me surprend encore. Quand nous allâmes nous coucher, nous nous sentions mieux. Cela nous redonna le moral avant de repartir le lendemain « sur la route », encore un peu plus au sud, à Jianshui*.

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* Nous avions décidé de renoncer à la visite de Shilin et de sa forêt de pierre, pour raisons budgétaires et pratiques mais aussi pour fuir un site qui s’annonçait ultratouristique.