Heureux contretemps

La journée commença mal. Nous nous réveillâmes en retard suite à une « panne » de réveil. Pourquoi ? Pourquoi le jour même où nous devions absolument nous lever tôt pour profiter de la journée à Macao ? Pour ceux qui croient au destin, cette question devait trouver sa réponse un peu plus tard…

En attendant, c’était la course. Nous quittâmes l’hôtel au plus vite – où nous laissâmes nos bagages jusqu’au lendemain – pour partir au terminal des ferries de Kowloon. En théorie, le terminal était tout près et en dix minutes de marche, nous pouvions espérer le rejoindre, acheter aussitôt nos billets et sauter dans l’hovercraft. Oui mais voilà, d’abord il fallut trouver ce fameux terminal, caché à l’intérieur d’un des nombreux centres commerciaux de la ville. Puis nous découvrîmes que les billets pour Macao coûtaient beaucoup plus cher que ce que notre guide indiquait. Nous allâmes de guichet en guichet pour trouver un prix « correct ». Avec tous ces contretemps, plusieurs bateaux nous filèrent sous le nez.

La traversée, au milieu des îles, aurait pu être agréable si la climatisation, comme presque partout à Hong Kong, n’avait transformé le bateau en congélo flottant.

L’arrivée à Macao, où un soleil brûlant nous accueillit, en fut d’autant plus difficile. Côté décor, dès le port, le ton est donné : un casino géant au style tapageur aguiche les clients.

Nous rejoignîmes le centre en bus où nous partîmes à la recherche d’un hôtel. Nous avions jeté notre dévolu sur le quartier ouest de la vieille ville, un quartier jadis célèbre pour ses filles de joie. Nous essayâmes plusieurs hôtels avant de gravir les marches d’une petite pension modeste – pour ne pas dire plus. Les chambres étaient séparées par de fines cloisons en bois sans plafond, communiquant toutes entre elles sous le toit. Nous nous aperçûmes après, en commençant notre balade, que nous avions élu domicile rue da Felicidade, « la rue de la Joie », cœur de la prostitution au temps des Portugais. Nous comprîmes que nous allions sans aucun doute dormir dans un ancien bordel – « ancien », nous l’espérions – qui, vu l’état des chambres, n’avait pas dû beaucoup changer depuis ces heures chaudes.

Nous mangeâmes rapidement dans une petite cantine proposant toutes sortes de « raviolis », puis nous décidâmes de commencer – enfin – notre visite par l’église Sao Lourenço, la plus belle de Macao selon notre guide de voyage.

C’est là que tous nos contretemps, nos hésitations, trouvèrent leur sens. L’église, élégante, méritait le détour. Mais nous y trouvâmes beaucoup plus : alors que j’étais ressorti prendre une photo devant le fronton de l’église, un couple, assis sur un banc, me demanda de les prendre en photo avec leur appareil. Après quelques échanges, j’appris que l’homme, Eric, était français et que sa compagne, Hong, était chinoise.

Nous discutâmes un peu : Eric m’expliqua qu’il était musicien-compositeur et qu’il vivait à Macao depuis quelques mois. Il vit un signe dans notre rencontre lui aussi, car, en apprenant que Katya était russe et que nous vivions à Moscou, il nous expliqua qu’à cet instant il aurait dû se trouver en Russie pour l’inauguration d’un planétarium pour lequel il avait composé une musique – il n’avait pas pu faire son visa à temps. Quant à Hong, nous apprîmes qu’elle était originaire du Fujian et qu’elle était venue vivre à Macao, où il y avait du travail bien payé dans les casinos.

Après avoir échangé nos mails, nous étions prêts à nous séparer quand nous leur demandâmes s’ils connaissaient un bon resto pas trop cher pour le soir. Ils nous proposèrent de nous y conduire afin que nous puissions le retrouver après. En chemin, nous visitâmes un petit temple-école bouddhiste. Le restaurant repéré, Eric et Hong nous offrirent de visiter leur appartement, à deux pas du restaurant, occasion de voir un appartement « chinois » de plus près – en l’occurrence, leur appartement est très similaire à un appartement européen, hormis le balcon à barreaux pour sécher le linge, typique de Macao et de la Chine – et de nous désaltérer.

Jusqu’au bout de la nuit

Puis il fut temps de partir, car la journée était déjà bien avancée et nous n’avions toujours pas vu les « immanquables » de Macao. Eric et Hong, qui étaient en vacances et s’apprêtaient à partir en France, décidèrent de nous accompagner et furent pour nous les meilleurs guides que nous eussions espérés. Nous ne nous quittâmes plus – ou presque – jusqu’au petit matin, passant ensemble une journée inoubliable.

Nous traversâmes d’abord la fameuse place do Senado avant de monter au fort Sao Paulo de Monte pour le coucher du soleil. Sur le chemin du fort, dans les petites rues coloniales, nos amis nous invitèrent à goûter les spécialités locales que les vendeurs des magasins tendent aux touristes, notamment ces fines tranches de viande séchée – un régal !

Nous fûmes malheureusement vite chassés du fort, qui allait fermer ses portes pour la nuit. Nous redescendîmes tranquillement vers la ville, où nous nous promenâmes encore un peu avant d’aller rapidement nous rafraîchir et de nous retrouver au restaurant qu’Eric et Hong nous avait recommandés.

Le repas fut sympathique et succulent : beignets de poisson, porc sauce aigre-douce et légumes sautés pour accompagner tout cela. Le festin terminé – avec Eric, nous allâmes jusqu’au bout des plats, sauçant comme il se doit en France –, nous prîmes un bus pour rejoindre le quartier des casinos.

Nous pénétrâmes dans le Grand Lisboa, où nous vîmes combien les Chinois aiment jouer – s’il était encore besoin de le vérifier1. Plutôt que de jouer, nous nous offrîmes une pâtisserie, observant de loin la fièvre dont étaient pris les clients et les spectacles de danse très sensuels qui faisaient encore un peu plus monter la température de la salle.

Le Lisboa et le Grand Lisboa représentent un peu le « passé » de Macao ; celle du jeu version sino-portugais. Aujourd’hui, Macao est devenu la première place de jeu dans le monde, devançant Las Vegas, et le style « américain » – et ses investisseurs – devaient évidemment s’y imposer. Nous partîmes en taxi à la rencontre du Macao du futur, traversant le long pont qui conduit à l’île Taipa. C’est ici que les projets les plus fous ont vu le jour, notamment le centre commercial-hôtel-casino Venitian, réplique de son aîné de Las Vegas, ou la City of Dreams, centre commercial futuriste, hôtel et club branché – le Cubic, où nous allâmes boire un verre dans une ambiance technoïde et où nous rencontrâmes des amis de Hong.

Après le club, nous flânâmes dans le centre commercial avant de monter sur une impressionnante terrasse, depuis laquelle nous dominions tout le complexe. Nous restâmes un long moment, tous les quatre, seuls, à profiter de ce moment magique.

Hélas, le temps passait, c’était déjà le matin et nous dûmes redescendre de notre merveilleux refuge. Nous allâmes faire un dernier tour dans le très luxueux et « bling bling » Venitia, dans une atmosphère étrange puisque l’éclairage était en configuration nuit et que le centre était quasi-vide. C’était un peu comme si Macao et ses nuits folles étaient à nous, rien qu’à nous.

Alors que le jour se levait doucement, nous retournâmes en taxi dans le centre, où nous nous séparâmes avec émotion de nos amis, en se promettant de se revoir bientôt, en France, en Russie ou en Chine.

Sous le charme

Malgré une très courte nuit dans notre chambre de fortune, nous nous levâmes assez tard et décidâmes de passer toute la journée à Macao, afin d’approfondir la visite. La vieille ville, avec ses maisons de style colonial, est vraiment charmante. Beaucoup moins impressionnante que Hong Kong, Macao est son complément, son heureux négatif : ici pas de choc esthétique, mais du charme à chaque coin de rue et une douceur que sa sœur sino-britannique ne connaît pas.²

Eglises, maison du marchand Lou Kau, façade de l’église Sao Paulo – symbole de la ville construit par les Jésuites –, le très intéressant musée de la ville situé dans le fort, et l'agréable jardin Lou Lim Lok pour finir. Tel fut notre épuisant programme du jour, effectué sous un soleil ravageur – la saison des pluie, épisode 2 !

Nous dînâmes sur la Largo de Senado et puis nous rejoignîmes le port, où nous trouvâmes deux billets coûteux pour Hong Kong – tarif de nuit.

Notre séjour à Macao avait annihilé notre projet de visite des petites îles de Hong Kong, et nous en étions ravis, car ce que nous avions vécu là-bas resterait longtemps dans nos mémoires. Merci Eric, xièxiè Hong ! Vivement notre prochaine rencontre !

__________________________________________________________________________________________

1. Les casinos sont interdits en Chine et à Hong Kong, d’où le très grand succès de Macao.

2. Une ville douce comme l’histoire de sa relation avec la Chine, puisque le territoire de Macao, au contraire de Hong Kong, a été « mis à disposition » du Portugal de manière plutôt cordiale. A tel point que lorsque le Portugal, après la Révolution des Œillets et les effets de la longue crise que traverse le pays, a voulu restituer le territoire à la Chine, cette dernière a d’abord refusé. Le territoire a été finalement intégré à la Chine en 1999.