Le palais des Khans, ses fontaines et les « larmes » de Pouchkine
La journée passée dans la « ville des Jardins » (en turc) restera dans nos mémoires comme une de ces journées sans fin où l’on a l’impression que deux ou trois jours se sont superposés.
Le voyage jusqu’à l’ancienne capitale du khanat de Crimée (XVIe siècle) fut difficile : impossible de trouver notre chemin dans Simferopol, puis une fois arrivés à destination – ou presque – de trouver l’entrée de la vieille ville. Les routes ukrainiennes sont aussi « déroutantes » que leurs cousines russes…
Nous arrivâmes enfin dans une petite ville à l’allure étrangement fatiguée et usée pour un haut lieu de tourisme. Nous visitâmes le palais Hansaray, résidence des khans, avec ses minarets, son harem, ses jardins et surtout ses célèbres fontaines, connues grâce au poème de Pouchkine, La Fontaine de Bakhtchyssaraï, qui inspira par la suite un ballet à Assafiev.
Le lieu pourrait être magique si des hordes de touristes ne venaient se coller à la pauvre fontaine afin de s’y faire photographier, lui arrachant des larmes incessantes – la fontaine est dite Fontaine aux Larmes en raison de son écoulement délicat, goutte à goutte.
Une montée sportive vers la ville troglodyte de Çufut Qale
Après cette belle visite, nous voulûmes rejoindre les ruines de l’ancienne ville fortifiée de Çufut Qale (« forteresse juive » en turc, nom donné en raison de la pratique judaïque de ses habitants Karaïtes), célèbre pour ses habitations troglodytes. Les ruines se trouvent à trois kilomètres de Bakhtchyssaraï, en haut d’une des falaises abruptes qui dominent la ville. Après avoir hésité un moment sur le moyen de rejoindre le sommet – le trajet à pieds s’annonçait éprouvant –, Jean-Baptiste accepta la proposition d’un homme qui avait offert de nous y faire conduire en jeep moyennant finance.
Bien lui en prit ! Ce fut une expérience hallucinante : nous grimpâmes d’abord vers le sommet par un chemin escarpé qui suivait dangereusement le précipice. Arrivés au sommet, le chauffeur mit les gaz et nous fûmes lancés à toute vitesse dans un rodéo mécanique, frôlant sans cesse les arbres, tentant d’échapper aux ornières les plus saillantes et évitant d’un cheveu – ce n’est pas exagérer – les voitures arrivant à contresens. Notre chauffeur était complètement fou – ce qu’un de ses collègues lui fit remarquer quand nous le croisâmes – et aussi étrange que cela puisse paraître il nous enchanta. Grisés par la vitesse et les coups de volants brusques de notre Fangio local, nous étions tout sourire, comme dans ces manèges pervers où la peur est la clé du plaisir.
Nous arrivâmes « miraculeusement » sains et saufs jusqu’aux portes de l’ancienne cité. La balade au milieu des ruines pût être délicieuse si une pluie froide ne s’était invitée. Nous allâmes nous abriter dans les habitations troglodytes, qui servaient à stocker les nombreuses marchandises de cette ville située sur une des routes de la soie. Le réseau des pièces taillées dans le roc est impressionnant, comme la vue sur le canyon que la ville surplombe, où les caravanes de marchands – et tous ceux que ces richesses pouvaient exciter – passaient jadis.
Des canyons, un monastère et un savoureux restaurant tatar
Après avoir fait le tour de cet impressionnant site, nous retrouvâmes notre chauffeur, qui nous proposa un « extra » que nous acceptâmes, prêts à de nouvelles sensations fortes. Il nous conduisit à une jolie falaise, depuis laquelle on pouvait apercevoir un lac et la mer Noire. Entre-temps, le soleil avait réussi à percer les nuages par endroits et éclairait le paysage d’une lumière divine.
Pour notre plus grande joie, le retour vers Bakhtchyssaraï fut sportif, ponctué par une descente vertigineuse pendant laquelle nous pûmes contempler la petite ville tatare. Le chauffeur, heureux de son après-midi – de ses gains – et de nos réactions positives, nous emmena jusqu’à l’entrée du monastère Ouspensky, zigzagant dangereusement sur un petit chemin entre les touristes et les pèlerins. Nous le remerciâmes chaudement avant de partir visiter le monastère, goûtant notamment sa belle église du VIIIe siècle adossée à la roche et ses icônes peintes à même la falaise.
A notre retour en ville, nous nous arrêtâmes dans un très agréable restaurant tatar, où des petits kiosques en bois étaient alignés dans un joli jardin. Nous retirâmes nos chaussures pour nous asseoir en tailleur autour de la table orientale. A l’abri de la pluie qui était repartie de plus belle, nous dégustâmes un savoureux repas.
Catastrophes en série
Le retour de nuit à Alouchta fut beaucoup moins sympathique. Une fois passé Simferopol, une pluie battante s’abattit au-dessus de nous. Soudain je m’aperçus que la voiture de Jean-Baptiste ne nous suivait plus. Nous nous arrêtâmes un long moment sur un petit parking. Quand Jean-Baptiste nous rejoint enfin, il nous expliqua que les essuie-glaces étaient si usés qu’il ne voyait presque rien. Nous repartîmes lentement, espérant être tirés d’affaire bientôt, Alouchta n’étant plus qu’à une vingtaine de kilomètres.
Hélas, peu après être repartis, contre toute attente, c’est notre voiture qui montra des signes de faiblesse : les voyants rouges s’allumèrent les uns après les autres et les phares commencèrent à faiblir, puis très vite la voiture décéléra et une forte odeur de brûlé se propagea à l’intérieur. Je dus m’arrêter en catastrophe au milieu d’une longue montée. Quand Jean-Baptiste nous eut rejoint, nous tentâmes d’examiner le moteur fumant sans rien voir ni rien comprendre – pas très pratique la nuit sous une forte pluie. Impossible de redémarrer la voiture, dont la batterie semblait à plat. Nous garâmes la voiture le plus près possible du rail de sécurité et nous nous serrâmes dans la voiture qui nous restait pour effectuer les quinze kilomètres qui nous séparaient encore de notre logement. Nous arrivâmes crevés et contrariés, comprenant que nos vacances allaient désormais se compliquer.
Simferopol : le tourisme en dépanneuse
Après nos mésaventures en Inde (voir Varanasi) et en Chine (voir Guangzhou), ça commençait à faire beaucoup pour l’année 2012… Le lendemain matin, nous fûmes donc contraints d’appeler une dépanneuse. Jean-Baptiste nous conduisit jusqu’à notre voiture abandonnée où nous attendîmes la dépanneuse. Nous examinâmes le moteur encore une fois et nous constatâmes qu’une courroie était rompue. Nous craignîmes alors que le moteur ait lui aussi rendu l’âme.
Quarante minutes plus tard, la dépanneuse nous déposa – nous et la voiture – dans un garage de Simferopol. Examen, contre-examen. Attente du verdict, verdict contradictoire : le moteur était peut-être mort – les avis étaient partagés –, il fallait racheter une courroie pour en avoir le cœur net. Problème : la voiture de la mère de Katya est une voiture japonaise avec conduite à droite mais aussi avec du matériel spécifique qu’on ne trouve théoriquement que sur les modèles destinés au marché intérieur japonais. Il fallut d’abord rechercher – longuement – la catégorie du moteur (0,6 litres !) pour déterminer quelle courroie commander. Comme la pièce était rare, le prix était élevé. Katya proposa alors de rechercher elle-même la pièce en Russie et de la faire venir – avec l’aide de sa sœur – jusqu’à Simferopol. Le garagiste accepta et Katya commanda la pièce dans une ville russe de province ; celle-ci serait ensuite envoyée à Moscou puis voyagerait en train jusqu’en Crimée. L’affaire de plusieurs jours évidemment… Voilà comment nous nous retrouvâmes avec pour seule voiture une clio break – pour six – jusqu’à la fin du séjour !*
Nous rejoignîmes Jean-Baptiste, Claire et les enfants à Alouchta où nous leur apprîmes la mauvaise nouvelle. A partir de là, les déplacements devinrent sportifs – bien que nous soyons tous minces, quatre à l’arrière d’une Clio, c’est pas le luxe !
Il était donc entendu que la poisse ne nous quitterait plus de l’année, mais nous tentâmes de profiter néanmoins de la semaine qui nous restait en Crimée. Nous avions tant encore à découvrir.
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* Lorsque la pièce fût arrivée, nous eûmes la bonne surprise d’apprendre que le moteur n’avait pas été endommagé. Mais nos mésaventures ne s’arrêtèrent pas là : deux jours plus tard, nous quittâmes la Crimée en compagnie de la mère de Katya, tassés dans la petite voiture japonaise avec chiens et bagages. C’était le début d’un épuisant trajet de deux jours et demi à travers l’Ukraine et la Russie – 1500 km jusqu’à Moscou – sur des routes défoncées, mal indiquées, et où les stations services se firent si rares sur quelques tronçons que nous tombâmes deux fois (!) en panne d’essence – il faut ajouter que la merveilleuse petite voiture était ainsi faite que lorsque le voyant d’alerte s’allumait, la voiture était totalement vide d’essence et que l’on ne pouvait faire au mieux que deux, trois kilomètres... Un vrai cauchemar ! Je ne sais toujours pas comment nous avons pu rejoindre Moscou…