Départ émouvant et paysages bucoliques

 

Après avoir laissé deux petits messages de remerciement en français et en russe sur le mur de l’hôtel – où il y avait un panneau en papier servant de livre d’or, vierge jusqu’ici de caractères étrangers –, nous nous rendîmes à la gare routière, accompagnés de notre sympathique patronne. Elle voulait nous aider à acheter les billets de bus pour Fenghuang. Jusqu’au bout, elle fut aux petits soins avec nous, nous prodiguant ses bienfaits. Cette femme, dont j’ai oublié le nom, restera pour longtemps dans nos mémoires. Sa bonté, son dévouement, sa volonté de nous comprendre malgré la barrière de la langue, m’émeuvent encore.

Le trajet vers Fenghuang fut agréable malgré le temps humide. Nous traversâmes des paysages magnifiques : nous étions au milieu d’un océan de verdure agrémenté de rivières, de montagnes, de cascades, de petits villages reliés à la route par de romantiques ponts de pierre.

Les difficultés commencèrent à l’arrivée à la gare routière de Fenghuang. Les gares routières sont presque toujours en périphérie des villes aussi faut-il trouver le moyen de rejoindre le centre. Après avoir interrogé plusieurs personnes en montrant notre guide de voyage, on nous orienta vers un bus qui se remplit très vite. Pas complètement convaincus, nous demandâmes à deux jeunes femmes qui étaient assises près de nous si c’était bien le bon bus. Elles nous répondirent en anglais qu’elles allaient elles aussi dans le centre et que nous pouvions les suivre.

Heureuse rencontre, car il fallut descendre du bus pour prendre une sorte de minibus électrique desservant les rues semi-piétonnes du centre. Jamais nous n’aurions compris cela seuls, et nous aurions perdu pas mal de temps et d’énergie avec nos gros sacs. De plus les jeunes femmes, qui nous avaient demandé où nous logions, furent surprises d’entendre que nous n’avions rien réservé et que nous pensions voir sur place ; elle nous proposèrent donc de les suivre jusqu’à leur hôtel, qui semblait très bien.

 

Sous les ailes de deux anges chinois

 

Peu après, nous quittâmes le minibus et pénétrâmes dans une ruelle tortueuse pleine de charme. Nous arrivâmes assez vite à l’hôtel, où nous visitâmes la magnifique chambre de nos nouvelles amies. Même si le prix n’était pas donné – pour la Chine – le confort offert et la vue depuis le balcon nous convainquirent. Nous décidâmes de rester deux nuits – peut-être trois – mais au moment de payer notre carte de crédit fut encore refusée. Nous donnâmes donc nos derniers yuans, qui nous permirent tout juste de payer la première nuit.

Nos deux jeunes amies pouvaient désormais commencer leurs visites mais, quand nous leur expliquâmes que nous étions à sec – nous n’avions vraiment plus rien ! – et qu’il nous fallait d’urgence retirer de l’argent, elles décidèrent de nous accompagner pour nous aider. Encore une attention adorable.

Nous pensions avoir réglé notre problème bancaire à Zhangjiajie, mais notre inquiétude grandit à mesure que nous essayions en vain les distributeurs des banques de la rue principale. Après de nombreuses tentatives infructueuses, nous nous décourageâmes et comprîmes que, contrairement à que ce qui nous avait été dit, la situation n’avait pas été réglée. Un malaise grandit en nous : nous étions en plein cœur de la Chine, sans argent, à un endroit où il n’y a presque pas d’étrangers. Quelle ironie de penser que notre compte était plein de roubles mais que nous pouvions pas les utiliser !

Les deux jeunes femmes perçurent notre trouble et semblèrent affectées. Alors que nous revenions lentement vers la rivière l’esprit préoccupé, elles nous demandèrent si nous voulions les accompagner au restaurant – il est vrai que c’était l’heure de déjeuner et que nous avions faim. Honteux, nous dûmes refuser, expliquant que nous étions sans argent et qu’il nous fallait régler d’urgence notre problème bancaire. Les deux jeunes filles insistèrent et nous proposèrent de nous inviter. Nous acceptâmes cette merveilleuse attention à la condition que nous puissions les rembourser après. La situation était incroyable : nous étions à la fois très inquiets pour la suite de notre voyage et absolument conquis, après moins d’une semaine, par la Chine et la gentillesse de ses habitants. Quel bonheur de voir que l’on peut compter sur les autres, même si loin de chez soi et de sa culture !

Nos deux nouveaux anges nous conduisirent dans un restaurant qui leur avait été conseillé par le personnel de notre hôtel. Le repas fut délicieux et sympathique – nous reprîmes un peu de forces et de moral avant de devoir nous battre avec ma banque.

 

Braqués par la banque

 

Après le repas, nos adorables compagnes purent enfin profiter de la ville. Quant à nous, notre cœur n’était pas à la visite et nous retournâmes avec empressement à l’hôtel pour tenter de régler notre problème. Heureusement, Katya avait son smartphone, l’hôtel avait le wifi en libre accès dans le salon de l’hôtel, et j’avais des crédits d’appel sur mon compte skype. Sans tous ces éléments concordants, la situation aurait pris un tour encore plus sombre…

Nous passâmes une bonne partie de l’après-midi dans le salon, multipliant les appels, attendant avec angoisse un résultat positif : appels, rappels, mails ; pas de rappel, encore appeler ; valse des interlocuteurs ; informations contradictoires ; solutions entrevues aussitôt évanouies ; numéro de passeport à donner – l’ancien – que faire ? ; identité à prouver, encore. Un scénario à la Kafka. Aberration du monde moderne, on aurait pu nous laisser crever de faim juste pour « nous protéger » – protéger le compte, quoi de plus vital ?

Enfin – comment ? pourquoi ? qui ? tout se perd et s’abîme dans ma mémoire – une personne  – par gentillesse, par inconscience (qu’allait-il advenir du Compte ?) ou par lassitude – finit par accepter de débloquer le compte.

Stressés et épuisés, nous repartîmes aussitôt à la recherche d’une banque où nous pourrions enfin obtenir l’argent qui nous faisait défaut. Nouvelles déconvenues qui nous firent craindre un second mensonge de ma banque. La déprime était proche. Pousser plus loin, sans illusions. Une grande banque chinoise, la carte, le code, l’attente d’un nouveau message d’erreur. Pas de message, l’espoir. La mâchoire du distributeur se desserra et cracha enfin des billets sous notre regard incrédule. « C’est bien pour nous ? » Nous prîmes l’argent comme des voleurs ; recommençâmes encore ; retirâmes tout ce qui était permis – ce n’était pas énorme, mais ça nous semblait merveilleux. Un vrai casse et un soulagement intense.

 

Une nuit de plaisir et d’ivresse

 

Nous retournâmes à l’hôtel nous acquitter de la seconde nuit que nous avions prévu de passer ici le lendemain, histoire de rassurer nos hôtes qui avaient bien compris que nous avions un problème… Après toutes ces émotions négatives, et alors que la nuit tombait doucement sur Fenghuang, nous nous lançâmes enfin à la découverte de la ville.

Dès les premiers pas, nous fûmes consolés de nos peines. La ville était féerique. Plus le jour s’éloignait et plus elle resplendissait. Rivière glissant sous des rubans de lumière, ruelles tortueuses inondées de musique, senteurs merveilleuses échappées des cuisines ; foule dense et joyeuse ; ivresse. Nous étions comme dans un rêve.

Devant cette opulence de restaurants, de tavernes, de bars, de clubs, nous hésitâmes longuement avant de faire halte pour dîner, observant avec curiosité les nombreux animaux – plus ou moins exotiques – dans les cages et les viviers à l’entrée des établissements. Nous choisîmes finalement un restaurant donnant sur la rivière, qui nous semblait un peu moins racoleur que ses voisins. A l’entrée, nous croisâmes un couple d’Européens – petit événement – qui nous conforta dans notre choix. Quel merveilleux repas encore une fois ! Le poisson fraîchement tué et découpé sous nos yeux était succulent, comme le riz et les légumes que nous avions choisis en accompagnement.

Après ce merveilleux dîner, nous fîmes une promenade le long de la rivière Tuo afin de profiter des illuminations de la ville et de son ambiance festive. Comme la plupart des touristes, nous nous amusâmes à traverser la rivière par le gué, constitué de grands blocs de pierre verticaux surnageant au-dessus des eaux troubles. Puis nous abandonnâmes la ville, plus bruyante et plus enivrée que jamais, pour aller nous reposer.

 

Une journée de paix et de visites

 

Le lendemain, la journée commença au mieux avec un petit déjeuner sur notre balcon. Nous aurions pu rester là des heures à contempler la rivière et ses petites embarcations si nous n’avions eu en tête la multitude de sites à visiter à travers la ville. Celle-ci, métamorphosée, était étrangement calme et semblait presque nue sans ses habits de lumière. Mais bien vite nous goûtâmes avec joie cette paix relative – les touristes étaient toujours nombreux.

Gagnés soudain par ce besoin de paix, nous choisîmes pour notre première visite le parc de Nanhuashan, petite montagne recouverte de forêt dominant la ville. La visite fut magique : si près du centre mais si loin de son agitation, nous découvrîmes la ville à mesure que nous gravissions les escaliers de pierre. Puis nous nous enfonçâmes un peu plus encore dans le parc, empruntant escaliers, ponts suspendus, sentiers, jusqu’à nous retrouver en pleine nature.

En route, nous avions traversé une sorte de temple musée, une volière et des allées où l’on accrochait les vœux adressés par les touristes au phénix, maître des lieux – Fenghuang signifie « phénix » en chinois.

Après une bonne marche à flanc de montagne, tout au bout du chemin, nous débouchâmes dans un petit hameau au milieu duquel on reconnaissait une école. Nous fîmes une courte pause puis nous rebroussâmes chemin et retournâmes vers la ville, où nous avions encore beaucoup à voir.

Nous ressortîmes du parc par un quartier populaire de la ville, où petits escaliers et ruelles nous offrirent des scènes et des rencontres étonnantes, loin du fard du centre.

De retour au centre, nous entreprîmes la visite de quelques temples. Si le premier – bouddhiste – s’avéra intéressant, le second était une véritable arnaque : nous achetâmes deux billets coûteux pour avoir le droit de pénétrer dans ce « temple » reconverti en bijouterie de luxe pour touristes.

Un peu refroidis par cette malheureuse visite, nous décidâmes de nous contenter de flâner à travers la ville afin de profiter de ses charmes et de ses boutiques. Après avoir longé les remparts puis traversé la rivière, nous entrâmes dans une boutique de thé, où la patronne nous offrit une cérémonie de thé afin de nous faire découvrir ses produits – cérémonie réussie puisque nous repassâmes le lendemain lui acheter du thé.

 

Du restaurant au petit marché de nuit

 

Quand nous ressortîmes de la boutique, la nuit avait métamorphosé la ville ; fidèle à son nom, elle venait de renaître de ses cendres pour offrir une nouvelle explosion de vie, de couleurs, de sons et d’odeurs.

Nous nous arrêtâmes à la terrasse d’un restaurant situé le long de la rivière. Ce fut une de nos pires expériences culinaires chinoises : nous commandâmes un bouillon de poisson qui avait un affreux arrière-goût de pourriture – odeur que l’on retrouvait d’ailleurs dans certains petits stands de rue qui proposaient de petits crabes de rivière. Nous nous contentâmes donc du riz aux légumes et de la vue magnifique sur la rivière, qui compensait largement notre déception gastronomique.

Ce fut même l’occasion de profiter d’une autre tradition chinoise : après nous être promenés le long de la rivière, nous nous retrouvâmes devant le pont couvert – qui abrite de nombreuses échoppes comme nos ponts au Moyen Age – où un marché de nuit avait été dressé. Le long de la route, de nombreux étals de brochettes, de légumes, de fruits se succédaient. Nous allâmes prendre place sur les petits bancs de bois installés derrière les stands pour déguster quelques brochettes au milieu des Chinois. Un vrai délice à petit prix ! L’atmosphère de ces marchés de nuit est vraiment magique : envoûtés par les fumées des braseros et le mouvement lent de la foule, on pourrait passer des heures à goûter chacun des mets proposés par les marchands.

Nous achevâmes la soirée sur notre balcon, où nous aurions pu savourer la douceur d’une nuit printanière, bercés par l’écoulement régulier de la rivière, si le magma de musique jailli des bars et des discothèques n’avait rempli toute la ville.

C’est cette agitation à la fois captivante et épuisante qui nous décida à quitter la ville le lendemain. Jusqu’au début d’après-midi, nous profitâmes encore de la rivière et des petites ruelles, où nous recroisâmes avec plaisir une de nos deux amies. Puis il fut temps de rejoindre la gare routière, où nous empruntâmes un bus pour Jingzhou, une ville relais où nous espérions trouver un autre bus pour poursuivre notre voyage vers le sud et ses fameuses rizières…