Petit déjeuner avec les singes
Le Taj Mahal à l’aube, quel beau programme… Oui, mais voilà, encore eût-il fallu se lever. Notre panne d’oreiller nous contraignit à changer nos plans. Pusqu'il était trop tard pour assister au lever du soleil sur le site, autant profiter de la terrasse de l’hôtel pour un avaler un bon petit déjeuner. L’occasion pour Katya d'avoir son premier « contact » avec les singes, qui sautent à travers la ville d’arbre en terrasses, de balcons en câbles électriques. L’un d’eux, attiré par une salade de fruit, descendit de son arbre discrètement et monta tout à coup sur l’épaule de Katya pour plonger ses mains dans le saladier et repartir aussitôt avec son butin. Une bonne frayeur – et un avertissement (voir Varanasi) – pour Katya, qui avala avec inquiétude le petit déjeuner qu’on lui reprépara, en ne quittant pas des yeux les arbres où les singes guettaient leur prochaine victime.
Le petit déjeuner terminé, nous filâmes à grandes enjambées vers le Taj Mahal – il ne fallait pas perdre trop de temps si nous voulions voir le Taj et le fort rouge d’Agra avant de prendre notre train à 14 heures en direction de Jhansi.
Une merveille de l’architecture
Après avoir déboursé une forte somme et nous être soumis aux formalités de contrôle, nous pénétrâmes dans ce site célèbre à travers le monde, symbole de l’amour d’un empereur moghol, Shâh Jahân (petit fils d’Akbar), pour sa défunte femme Mumtaz Mahâl à qui il fit construire ce merveilleux tombeau. Quel choc en apercevant la silhouette blanche étincelant comme un joyau au soleil ! Dire que j’avais lu sur Internet quelques commentaires de voyageurs qui expliquaient que le le Taj Mahal était surfait et que l’on pouvait s’en passer… quelle idiotie ! Le Taj Mahal est un des plus beaux sites que j’ai vus au cours de mes voyages et j’y retournerai sans hésitation malgré le prix.
Nous remontâmes lentement vers le mausolée, longeant le canal qui s’étend devant lui et marquant de nombreuses étapes pour prolonger le plaisir. Quand nous fûmes arrivés au pied du socle du tombeau, on nous fit enfiler des patins plastifiés – luxe réservé aux étrangers, les Indiens étant obligés de retirer leurs chaussures et de les déposer à l’entrée. Le second luxe octroyé aux étrangers est de pouvoir entrer à l’intérieur du mausolée sans devoir faire la queue – un vrai avantage quand on découvre la longue file qui s’enroule tout autour du bâtiment, promettant de très longues minutes d’attente aux locaux – vu la différence de prix des billets pour les étrangers et les Indiens, l’avantage n’est pas illogique.
Sachant donc que nous pouvions entrer dans le mausolée quand bon nous semblerait, j’en profitai pour tenter quelques clichés. C’est alors que j’aperçus nos amis allemands Alex et Katarina. J’allai les saluer une première fois puis une seconde accompagné de Katya. Cette nouvelle rencontre nous ravit, et après avoir un peu discuté, nous les abandonnâmes pour aller visiter l’intérieur du tombeau, où il est difficile d’apprécier la beauté du lieu tant les touristes se pressent.
Quand nous ressortîmes, nous tombâmes de nouveau sur nos amis. C’était un signe. Après avoir échangé nos mails et pris quelques photos souvenirs, nous nous fîmes nos adieux – ils poursuivaient leur voyage au Rajasthan alors que nous prenions la direction de l’Uttar Pradesh – en nous promettant de nous revoir du côté de Munich ou de Moscou.
Du tombeau de Mumta Mahal au fort de Shah Jahan
Je serais bien resté plus longtemps à contempler le Taj, mais il nous fallait accélérer si nous voulions voir le Fort rouge, l’autre merveille d’Agra. Nous aurions voulu appeler Allam, mais le temps nous manquait et nous sautâmes dans le premier rickshaw que nous aperçûmes.
Le voyage fut rapide heureusement, et très vite nous fûmes à l’intérieur du Fort rouge, qui est somptueux lui aussi. Akbar, lorsqu’il déplaça la capitale à Agra, décida de transformer le fort en palais de style hindou ; son petit-fils Shâh Jahân lui donna son aspect actuel, renforçant l’influence moghole. Shâh Jahân y fut d’ailleurs enfermé pendant ses huit dernières années par le nouvel empereur, son fils Aurangzeb – qui ne lui avait pas pardonné d’avoir choisi son frère aîné comme héritier. De sa prison, il pouvait voir le Taj Mahal, où son épouse chérie reposait, si près et si loin de lui.
Nous aurions aimé prendre le temps d’une visite guidée pour apprendre un peu plus de ce lieu chargé d’histoire et théâtre de nombreuses audaces architecturales. Hélas, il nous fallut regagner notre hôtel, où nous devions récupérer nos sacs et avaler un dernier repas sur l’agréable terrasse.
Enfin, nous pûmes appeler Allam pour qu’il vienne nous chercher avec son « hélicoptère » (voir Fatehpur Sikri). En l’attendant, nous avions traversé la rue pour nous rendre à l’hôtel Ray of Maya – partenaire de notre hôtel – afin de consulter Internet. Ce qui nous permit de faire la connaissance de la propriétaire, une Finlandaise qui vit là depuis près de vingt ans. Quand nous lui expliquâmes que nous projetions de nous rendre à Orchha en soirée, elle nous conseilla un hébergement –elle appela pour nous recommander (« je t’envoie un gentil couple de qui il faudra prendre soin ») et négocia même le prix – et surtout nous raconta qu’elle y avait fait ouvrir une école privée – ce n’est pas toujours négatif – afin d’aider les familles pauvres qui ne peuvent payer l’uniforme obligatoire et toutes les fournitures scolaires et dont les enfants par conséquent – notamment les filles – sont peu scolarisés. Elle nous proposa d’aller la visiter, ce que nous acceptâmes avec plaisir.
Le dernier voyage de l’« hélicoptère »
Cinq minutes plus tard, nous avions pris place dans l’hélicoptère et filions à fière allure vers la gare. Katya questionna Allam sur les croyances attachées aux pierres, que les Indiens portent en bagues ou en bracelets. Katya lui expliqua qu’elle aimerait en acheter pour elle. Qu’avait-elle dit là ? Allam, fidèle à la réputation des chauffeurs de rickshaws, connaissait évidemment une bonne adresse, « pas chère », « honnête », etc. Il nous expliqua alors que les trains ne partaient jamais à l’heure en Inde et que nous avions le temps de faire un tour à la boutique – heureuse coïncidence ! Je refusai, arguant que si cette fois le train était à l’heure, nous restions à quai.
Nous arrivâmes à la gare avec dix minutes d’avance sur l’horaire théorique du départ. Allam avait dit vrai, le train était retardé de trente minutes. Il nos proposa donc encore une fois d’aller visiter « sa » boutique. Seul, j’aurais refusé – la gare étant éloignée du centre où il fallait retourner –, mais Katya était évidemment bien tentée. Il nous jura qu’en dix minutes nous serions au magasin, où nous aurions dix minutes pour faire nos emplettes avant de retourner à la gare. Je le sentais assez mal…
Le voyage jusqu’à la boutique dura un quart d’heure, et une fois arrivés il fallut encore le temps de regarder les pierres, les montures, puis de négocier les prix – un quart d’heure environ. Je commençais à légèrement bouillir ; notre chauffeur aussi, qui était en nage, m’observant du coin de l’œil. Enfin, nous sautâmes dans l’hélicoptère. Nous n’avions plus que quelques minutes avant le départ du train, et Allam repartit pied au plancher. Il appuya si fort sur la pédale que – la loi des séries – le moteur de l’hélicoptère rendit l’âme, nous obligeant à nous garer sur le côté de la route.
A cet instant, je maudissais les boutiques et leurs maudites babioles. Allions-nous manquer notre train pour deux petites pierres – peut-être fausses ? C’était sans compter sur la solidarité indienne. Un rickshaw s’arrêta à notre hauteur et, après quelques mots échangés avec Allam, ce dernier prit les commandes de son « nouvel » hélicoptère et nous emmena à la gare, concentré comme un pilote de F1.
Le train, la « classe dure » et le carré magique
Nous arrivâmes juste à l’heure. Nous remerciâmes notre ami pour ses prouesses et sa gentillesse – même si je me serais bien passé du stress de la boutique – en lui laissant un bon pourboire.
Après voir assisté sur le quai au curieux spectacle d’un train partant au ralenti poursuivi par des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, pour la plupart chargés de gros sacs – le train s’arrêta même deux fois tout au bout du quai pour donner une dernière chance aux retardataires de bondir dans le dernier wagon –, notre train rentra enfin en gare et nous découvrîmes le plaskart (« classe dure » en russe) indien. Bien que notre voyage fût court – quatre heures –, nous avions pris place dans un train couchette qui poursuivrait sa route bien après nous – vers Bhopal notamment, lieu tristement célèbre… La classe dure indienne offre une petite différence avec la classe dure russe : un rideau permet à chaque passager allongé sur sa couchette de s’isoler de ses voisins. Tous ces rideaux fermés donnent un air un peu mortuaire au wagon – et beaucoup moins sympathique qu’en Russie –, mais au fond c’est assez pratique pour se reposer.
Nos deux compagnons de voyage – un couple d’une cinquantaine d’années – ne parlaient pas anglais, nous ne pûmes donc hélas engager la conversation. Katya en profita pour se reposer et de mon côté je décidai d’aller me poster à l’entrée du wagon, entre les portes du train ouvertes pour – et par – les fumeurs. Armé de mon appareil photo, c’était l’occasion rêvée pour essayer de « capter » un peu des paysages ruraux que nous traversions. Ce fut aussi l’occasion d’une rencontre avec un homme d’une cinquantaine d’année – lui aussi – venu fumer, et qui quand il apprit que j’étais français se lança dans une grande conversation footballistique, me contant son « amour » pour l’équipe de France des années 80 et son fameux « carré magique ». Il m’énuméra un par un les noms des joueurs français, qu’il connaissait mieux que moi. Chose plus incroyable encore, il m’offrit un sandwich – acheté à un des nombreux vendeurs qui sillonnent le train. Incroyable, car jusque-là la relation « matérielle » n’avait été qu’à sens unique, les Indiens attendant de notre part argent ou tout autre chose. Et même si ce sandwich ne coûtait pas bien cher, je fus sincèrement touché par l’attention.
Partie de poker menteur avec les chauffeurs de taxi
Enfin nous arrivâmes à Jhansi, où il nous fallait encore trouver un moyen de transport jusqu’à Orchha, éloigné d’une vingtaine de kilomètres. Commença une grande partie de poker avec les chauffeurs de taxis (un vraie mafia !), qui prit même des allures de pièce de théâtre de boulevard ou de dessin animé : dès que nous faisions un pas, une foule de chauffeurs et autres intermédiaires douteux nous emboîtaient le pas, tâchant de nous empêcher de réfléchir et de trouver une alternative à leurs coûteuses propositions. Le jeu dura près d’une demi-heure, nous fîmes le tour du parking de la gare entouré de nos « amis », à la recherche d’une solution qui ne venait pas. Quand je surpris les regards narquois de ceux qui nous croyaient « perdus », attendant juste que nous finissions par craquer. Je me ressaisis et dit à Katya « ok, on a voulu jouer avec eux, alors allons jusqu’au bout ! » Quand nous tentâmes de nous éloigner encore une fois, ils comprirent alors à notre air revigoré que ce serait peut-être définitif et que nous ne payerions jamais, même si nous devions attendre ici des heures ou y aller à pied. Ils perdirent leurs petits sourires et « étonnamment » une solution à prix normal se présenta aussitôt – qui mieux est dans un luxueux taxi blanc ! Quand nous montâmes dans le taxi, un des leaders de la joyeuse bande nous complimenta pour la partie livrée : « super couple ! », me dit-il avec une pointe d’admiration.
Une fois le taxi parti – que nous partagions avec un habitant d’Orchha –, le chauffeur s’excusa et nous expliqua qu’il savait que les prix demandés par les hommes du parking étaient scandaleux, mais qu’il était obligé de garder le silence… Une vraie mafia, dis-je.
Arrivés à notre hôtel, nous découvrîmes une grande chambre avec une vue magnifique sur la campagne environnante et le fort d’Orchha éclairés par la lune. Les bagages posés, nous allâmes parcourir le village – qui nous fit une très bonne impression – et, après une nouvelle pause Internet, nous trouvâmes un restaurant tout simple près de notre hôtel et rentrâmes nous coucher, harassés par cette longue et belle journée.