Dalat, « so british » !

Un dernier petit déjeuner en famille et l’on prit place dans un taxi, que nous partageâmes avec nos amis canadiens. Nous les quittâmes à la gare routière de Nha Trang. Après avoir laissé nos bagages près du comptoir de la compagnie de bus qui devait nous emporter vers Dalat, là-haut, au grand air, nous profitâmes de l’heure d’attente pour aller nous promener dans la ville, le long de la mer.

Le choc. Des Russes, partout. Les magasins, les restaurants, les cafés, les agences qui affichaient en gros « ici, on parle russe ». Sur la plage, il n’y avait qu’eux. C’était un long alignement de Russes bedonnants. Bien que mon affection pour les Russes soit certaine, est-il utile de préciser que nous étions pressés – Katya aussi – de fuir pour échapper à ce ghetto touristique dérangeant.

Une colocataire de Jungle Beach nous avait prédit l’enfer dans les lacets qui montaient vers Dalat, ayant elle-même été malade dans la longue ascension. Celle-ci s’avéra beaucoup moins rude que la montée vers Sapa et nous la vécûmes sans la moindre gêne.

Ce qui fut plus brutal, c’est la différence de température. L’air était étonnamment frais et le ciel couvert. Nous dûmes partager un minibus avec trois jeunes Hollandais pour rejoindre le centre, assez éloigné de la gare routière. Le « taxi » nous déposa les premiers devant l’hôtel que nous avions choisi, bien qu’il dépassât notre budget. Après notre séjour dans la « jungle » (voir Doc Let), nous aspirions à un peu de confort. Sauna, jacuzzi, petit déjeuner gargantuesque et chambre douillette avec parquet : on n’avait pas pu résister !

Après avoir posé nos affaires dans notre nouvelle chambre, nous partîmes visiter la ville. Dalat, avec ses restes coloniaux, jouit d’une bonne réputation auprès des touristes. Je partage peu cet enthousiasme. Le site créé par les Français, avec ses jardins et ses bassins au milieu des pins est plutôt agréable mais l’architecture de la ville me donna l’impression d’un grand chaos. C’est une ville à voir de loin, d’en haut, au milieu de son écrin vert. D’en bas, elle a un air maussade, comme cette vendeuse de pain qui refusa de nous servir, faisant mine de nous ignorer.

Une courte marche le long du lac ne changea rien à l’affaire. Cherchant à tout prix un point d’accroche, nous poussâmes les portes du grand marché central. Nous y achetâmes un peu de thé – pas celui que nous avions demandé à la vendeuse, mais qu’importe – et repartîmes vers notre hôtel, sous la pluie. Jungle Beach, sa chaleur et son soleil de plomb nous semblaient si proche et si loin. En route, nous nous arrêtâmes déjeuner dans un restaurant à l’allure sympathique mais finalement très décevant.

L’éclaircie espérée vint enfin lorsque nous arrivâmes au dernier étage de notre hôtel, sur une terrasse couverte où il y a avait deux saunas et un jacuzzi. Et dans ce jacuzzi, à notre grande et heureuse surprise, barbotait Liberty, notre copine anglaise de Jungle Beach. Tout aussi surprise que nous, elle nous présenta les deux garçons anglais qui se prélassaient à ses côtés. Alex, quant à lui, s’essayait au sauna. Nous allâmes le rejoindre avec plaisir. La veille, dans la touffeur de Doc Let, je n’aurais jamais cru que je pourrais apprécier un sauna. Mais nous avions changé de monde et d’altitude. Et la pluie avait rafraîchi nos cœurs.

Nous fîmes quelques allers-retours sauna jacuzzi. Ce dernier, depuis lequel on dominait la rue lavée par la pluie, était particulièrement agréable.

Un peu plus tard, sur le conseil de nos amis – décidément –, nous allâmes dîner dans un restaurant tenu par un artiste, tout près de notre hôtel. Nous y retrouvâmes les deux jeunes Anglais dont nous avions fait connaissance dans le jacuzzi. Nous passâmes une sympathique soirée en leur compagnie. Ils nous expliquèrent leur aventure – c’en est une ! : ils traversaient l’ex-Indochine en moto. L’un d’eux portait d’ailleurs les marques d’une chute qu’il avait fait quelques jours plus tôt.

Le restaurant était très beau, l’atmosphère douce et romantique, et la nourriture délicieuse. Nous l’accompagnâmes d’un bon vin de Dalat, que les Français – puis les Vietnamiens –  ont réussi à produire avec bonheur sur les coteaux environnants. Le maître des lieux, l’artiste, vint à notre rencontre et, sous nos yeux, fit montre de son talent en composant, du bout de ses doigts, d’étonnantes natures mortes où les bambous, plus rapides encore que dans la nature, surgissaient en un glissement de phalange.

 

Entre-temps, nos amis Liberty et Alex nous avaient rejoints et nous passâmes une excellente soirée, « so british » ! Katya eut même une leçon du maître et s’essaya à la peinture au doigt, sous le regard amusé et bienveillant de notre hôte.

Alex proposa de finir la soirée sur la terrasse de leur hôtel – jumelé avec le nôtre – un peu plus haut dans la rue. La bouteille de vin était prête, nous aussi ; mais la veilleuse de nuit le vit autrement et elle vint nous chasser de la terrasse. Fin brutale d’une soirée malgré tout réussie.

Voyage à motocyclette, part II

Le lendemain promettait d’être une longue et belle journée. Nous commençâmes par un (très) gros petit déjeuner, pour lequel les guides n’avaient pas menti. C’était royal ! Nourris pour la journée, nous commandâmes un scooter à la propriétaire de notre pension et nous partîmes d’abord à la découverte des quartiers hauts de la ville et notamment de la résidence d’été de Bao Dai, le dernier empereur du Vietnam, construite en 1933. La villa de style art-déco, conservée en l’état, est merveilleuse. Nichée au sommet d’une colline protégée par des pins, elle domine la ville qui, d’ici, rayonne enfin.

La visite terminée, nous remontâmes sur notre machine pour commencer une longue épopée jusqu’aux chutes de l’Eléphant, que les deux jeunes motards anglais nous avaient conseillée la veille. En soi, le trajet n’avait rien d’une épopée. Vingt « petits » kilomètres. Oui, mais vingt kilomètres sur une petite route de montagne avec un véhicule mal maîtrisé. Et un ciel menaçant, qui sentait la pluie.

L’aller se passa bien. Nous fîmes quelques pauses pour faire des photos des merveilleuses collines où l’on découvrit bananiers et caféiers – ici, le café, comme le vin, est excellent. Nos amis nous avaient dit que c’était « la plus belle route » qu’ils avaient empruntée. Impossible de comparer pour nous, mais il faut avouer que les paysages étaient somptueux.

Nous arrivâmes à bon « port » aux chutes de l’Eléphant, qui portent bien leur nom, vu la force de la chute. Elle n’est pas si haute, mais son débit est tel qu’elle impressionne aussitôt. Nous entreprîmes la dangereuse descente – très glissante et fréquentée par des serpents ! – sur le sentier parallèle qui a été aménagé pour les touristes. La fin est clairement hasardeuse : il faut un peu escalader, se glisser entre des rochers et on arrive sous la chute. Assourdissante expérience. Ecrasés par le pied de l’éléphant, trempés en quelques secondes comme si sa trompe nous avait lancé des litres d’eau, je risquai néanmoins quelques photos et un petit film. Quand je vis mon appareil ruisselant, j’arrêtai vite mes essais.

On fit demi-tour et je tentai de poursuivre un peu encore la descente pour m’éloigner de la chute et trouver un angle intéressant. En vain. L’idée de continuer me titillait mais, avec le sol trempé, ça devenait vraiment dangereux. Ni barrière ni protection, la chute aurait été fatale.
 


 

 
 

Nous remontâmes donc péniblement le sentier et arrivâmes juste à temps pour nous abriter dans le petit café présent à l’entrée du site. Une averse violente s’écrasa sur le site, qui n’avait pourtant pas besoin de cela. Nous patientâmes un long moment à boire du thé, discutant avec la gérante, qui nous expliqua qu’elle était mariée avec un Américain plutôt rustre.

Je commençais à m’inquiéter pour notre retour. La pluie ne s’arrêtait pas et la lumière faiblissait doucement. Au bout de quarante minutes, profitant d’une légère accalmie, je sortis visiter le joli temple bouddhiste adossé au site. Le complexe, avec ses jeunes bonzes, était assez important. J’assistai de loin à un office et retournai rejoindre Katya.

Nous attendîmes encore un peu, et voyant que la pluie semblait installée pour de bon, j’insistai pour reprendre la route. Doucement mais sûrement. Nous enfilâmes nos ponchos de pluie et partîmes cahin-caha. Le retour fut exténuant. Il fallait redoubler de vigilance sur la chaussée trempée. Et lorsque la pluie accélérait, je ne voyais presque rien. La visière de mon casque me semblait totalement opaque.

Nous arrivâmes malgré tout à Dalat avant la nuit. Revigorés par notre succès, nous nous offrîmes même un dernier tour dans la ville, le long du lac et à l’ancienne gare coloniale. Liquides et fatigués, nous rentrâmes enfin à l’hôtel, où nous pûmes apprécier une bonne douche avant de partir dîner en tête à tête – enfin – au même restaurant que la veille. Nous retrouvâmes notre cher maître, qui nous accueillit avec plaisir et nous servit un bon vin. Il nous offrit même quelques supplémentaires.

Nous retournâmes une dernière fois à l’hôtel, où nous attendîmes le minibus qui devait nous ramener à la gare routière, où nous prendrions un bus de nuit – encore un, hélas ! – pour Hô Chi Minh-ville (Saigon). La nuit commença mal : alors que j’essayais de travailler sur mon site dans le hall de l’hôtel, la petite fille de la gérante vint se mettre à côté de moi et passa une bonne heure à m’insulter en anglais, qu’elle maîtrisait plutôt bien pour mon plus grand malheur. « T’es moche », « tu ne me plais pas », « j’aime pas tes cheveux longs », « on dirait une fille », «  je ne rigole pas, tu es vraiment horrible », etc. Ce harcèlement se déroula sous les yeux de sa mère – ou grand-mère – qui, bien qu’elle entendît tout et parlât parfaitement anglais elle aussi, ne souffla pas mot. Je crois avoir déjà dit combien l’éducation des enfants en Asie – du moins en Chine et au Vietnam, et je rajouterai la Russie, que je connais encore mieux, laquelle a déjà un bon pied en Asie – est peu contraignante (voir Hué) et clairement incompréhensible pour les Français, qui apportent généralement un soin particulier aux mots et aux gestes de leurs enfants.

Fatigué, stressé par cette petite peste, j’oubliai mon guide de voyage au moment de quitter l’hôtel. Cet oubli, conjugué à bien d’autres faits contraires, devait avoir de lourdes conséquences.

Nous arrivâmes à la gare routière, où nous patientâmes encore un peu avant de prendre place dans l’engin diabolique. Le voyage fut difficile et fatiguant. Je me retrouvai sous la clim, à grelotter comme un idiot alors que l’air se réchauffait à mesure que nous redescendions vers la mer et le delta du Mékong. Mais, nous ne le savions pas encore, tout cela n’était rien au vu de ce qui nous attendait le lendemain à notre arrivée à Saigon, pour la dernière étape de notre long chemin sino-vietnamien.