Minsk - Moscou – 700 km

La route des rêves

 

J’assurai le premier relais de cette dernière étape. Avec notre nuit tronquée, la fatigue commençait à se faire sentir. Conscient des risques, j’essayais de maintenir mon attention et de repousser le sommeil, auquel Katya s’abandonna vite.

Lorsque, pour rejoindre l’autoroute, nous traversâmes la « banlieue » de Minsk, je fus surpris de ne pas découvrir les barres sinistres, les blocs mal construits, qui « ornent » la capitale russe – et la plupart des villes russes – depuis l’époque soviétique. Si Minsk a des airs de petit Moscou, je dois reconnaître que ce m’en avaient dit mes amis russes était vrai : les rues, les bâtiments, les chaussées, tout semblait plus propre, plus entretenu.

Nous quittâmes Minsk et retrouvâmes la campagne, qui dormait encore sous des étoffes de brume cotonneuse, délicatement éclairées par les lueurs de l’aube. Le spectacle était saisissant. Chaque minute offrait une nouvelle scène, une nouvelle lumière, de nouvelles couleurs. Je m’arrêtai plusieurs fois pour prendre des photos. Le froid du petit matin était un bon allié dans ma lutte contre le sommeil.

Quand le soleil fut levé, la campagne hésitait encore à le suivre, toujours au « chaud » sous ses draps blancs. A ma grande joie, le paysage de légende arthurienne perdura longtemps. Enfin le charme se rompit ; la brume disparut, emportant avec elle fées et magiciens. Le labeur avait triomphé du conte ; nous découvrîmes des champs vallonnés, dont la chair marron noir avait été striée par les machines des hommes. Nous étions au milieu des fameux champs de Biélorussie, dont les voisins russes vantent et envient la qualité.

 

Humeur grise, bouchons et inondation : back to Moscow !

 

Nous nous arrêtâmes dans un petit café pour nous ravitailler, la voiture et nous. Katya me relaya au volant. Je m’endormis aussitôt et manquai le passage de frontière – très facile, puisque la frontière est « ouverte » entre les deux pays (CEI). Je rouvris les yeux en Russie. Nous comprîmes à l’accueil que l’on nous fit dans les « restaurants » où nous tentâmes de faire étape que nous étions de retour en Russie… Toujours l’impression de déranger – excusez-nous de vouloir vous faire travailler ! – et pas de paiement par carte.

Le déjeuner attendrait. Je repris le volant, pressé de retrouver le confort de notre appartement. Nous goûtâmes d’abord aux bouchons moscovites, dont nous nous serions bien passés pour notre retour.

Lorsque nous garâmes la voiture dans notre cour d’immeuble, nous éprouvâmes un soulagement. Nous avions ramené la voiture et toute sa cargaison à Moscou, triomphant de quelque 3700 km – à peine plus qu’à l’aller, alors que nous redoutions de dépasser les 4000 km.

Notre soulagement ne dura guère. En ouvrant la porte de notre appartement, nous fûmes assaillis par une odeur d’humidité. Lorsque nous pénétrâmes dans le couloir qui menait à la salle de bain, ce fut le choc. Le plafond était noirci par des traces d’eau ; la peinture des murs avait gonflé et une cloison avait même explosé ; l’odeur était insoutenable. En ouvrant la salle de bain, ce fut pis encore : le carrelage s’était décollé du mur et fracassé au sol ; les meubles étaient déformés par l’humidité ; tout était jauni et sale. Notre chambre aussi avait été inondée, comme les armoires et les placards où nos vêtements avaient commencé à moisir.

C’était un spectacle de désolation. Et de fait il nous désola. Nous sentîmes s’abattre sur nous les 10000 km de voiture que nous avions effectués durant l’été. Notre manque de sommeil nous rendait tout cela insupportable. Notre retour s’annonçait pénible avec de nouveaux tracas – expertise, jugement, travaux – qui s’ajoutaient à l’obligation de terminer au plus vite les démarches pour obtenir ma carte de séjour.

Tout juste pouvions-nous nous consoler en gageant que les beaux souvenirs que nous ramenions de nos voyages effaceraient vite tous ces soucis.