Une carte bancaire capricieuse

 

Nous avions décidé de séjourner sur l’île Shamian, l’île des Concessions, que la France et la Grande-Bretagne se partagèrent suite aux deux guerres de l’Opium.

Un taxi nous mena donc de la gare jusqu’à l’hostel que nous avions choisi. On nous proposa une chambre assez luxueuse avec une vue sur la rivière des Perles (Zhu Jiang) pour un prix raisonnable.

Nous n’avions plus assez d’argent pour payer la chambre, aussi demandai-je où je pouvais trouver un distributeur de billets. Hélas je découvris bien vite que ma carte bancaire était de nouveau bloquée. Nous fûmes donc bons pour une nouvelle série d’échanges avec Moscou pour tenter de trouver une solution express. Du stress, de l’inquiétude, du temps perdu, encore une fois (voir Fenghuang).

Après une longue joute avec nos interlocuteurs – qui nous apprirent que le compte n’avait été débloqué qu’une semaine –, nous finîmes néanmoins par leur faire entendre raison, et nous pûmes enfin retirer l’argent nécessaire à la fin du voyage et au paiement de notre chambre. Nous espérions nous être débarrassés enfin de la poisse « financière » qui nous avait collée aux basques tout au long de notre séjour.

 

Le marché aux thés : Tea for two en Chine

 

Un peu contrariés par ce nouveau contretemps, nous partîmes à la découverte de la ville, où nous avions décidé de consacrer notre premier jour à la recherche de thé. Plus exactement du marché au thé, où Katya voulait trouver une boutique qu’on lui avait conseillée.

Pour nous y rendre, nous traversâmes la rivière en bateau. Selon les indications que l’on avait données à Katya, le marché au thé était dans la partie sud-ouest de la ville, un peu en dessous de la rivière. Pas si loin, mais pas assez près pour faire l’économie d’un bus. Oui, mais voilà, lequel ?

Nous questionnâmes plusieurs personnes, recevant des réponses contradictoires. Nous finîmes par tenter notre chance dans un des bus dont le numéro était revenu plusieurs fois. Après dix minutes, nous vîmes apparaître, le long de l’avenue que remontait le bus, des boutiques de thé ici et là. Nous descendîmes alors, pensant être arrivés.

Nous rentrâmes dans un ensemble de boutiques qui ressemblait à ce que nous cherchions. Hélas, impossible de trouver « notre » adresse. Au milieu de ce labyrinthe de boutiques de thé, notre mission me sembla tout à coup irréalisable…

Katya insista néanmoins – les vendeurs de la boutique que nous cherchions parlaient russe – et petit à petit les gens que nous croisions nous renvoyèrent de l’autre côté de la route, un peu plus loin, devant une sorte de grande halle mi-commerciale mi-industrielle.

Là-bas, un vigile nous invita à y pénétrer et peu après nous marchions dans des allées couvertes d’un grand hangar, où les petites échoppes de thé se succédaient. Alors qu’il me semblait de plus en plus absurde de s’entêter à rechercher « une » boutique quand nous étions entourés de milliers de thés, Katya reconnut soudain, à un carrefour, l’enseigne que nous espérions trouver.

Commencèrent alors de longues discussions entrecoupées de dégustations de thé. On me commanda même une soupe – nous n’avions toujours pas mangé de la journée et le soir approchait. Katya, tout à son bonheur, goûtait puis commandait, les vendeurs remplissant toujours plus de paquets à sa demande. Les limites de temps – heure de fermeture du magasin –, d’argent – les très bons thés coûtent une fortune ! – et de place – le poids et l’encombrement des bagages étant limités dans les avions – finirent par vaincre son enthousiasme au bout d’une très longue heure. Nous allâmes encore acheter de la vaisselle dans des boutiques voisines, ainsi qu’une petite table de cérémonie en bois.

 

Tour de la Télévision et restaurant thaï

 

Puis il fut temps de repartir chargés comme des mulets. Pas question de perdre autant de temps et d’énergie qu’à l’aller ; nous arrêtâmes un taxi, qui nous ramena tranquillement jusqu’à l’hôtel, sur l’île des Concessions.

Après une courte pause, nous repartîmes en ville. Il faisait nuit désormais. Nous reprîmes un taxi pour nous rendre à la nouvelle tour de la Télévision., symbole futuriste de la prospérité de Guangzhou.

Le trajet fut assez long, suivant d’abord la rivière, de laquelle nous nous éloignâmes ensuite pour emprunter une sorte d’autoroute urbaine qui semblait s’enrouler sur elle-même et qui me fit bientôt perdre tout repère.

Enfin la tour apparut. Le jeu de lumières de cette audacieuse spirale allant s’ouvrir vers le ciel nous ravit aussitôt.

Notre première idée était de la visiter, mais les tarifs délirants appliqués à des prestations fantaisistes et express nous en dissuadèrent. Nous nous contentâmes donc de marcher « autour » – autant que ce fut possible car tout est très quadrillé pour obliger les touristes à payer – et le long de la rivière afin de profiter des illuminations nocturnes.

Notre seconde idée était de dîner dans le quartier de la tour. Deuxième « échec » : pas de restaurant en vue et impossible d’obtenir un renseignement auprès des badauds, malgré leur bonne volonté.

Un peu désabusés et fatigués, nous décidâmes de regagner l’île des Concessions. Là-bas, après une courte marche le long de la rivière, nous trouvâmes un excellent restaurant thaï disposé dans un agréable jardin. Nous nous délectâmes de savoureux currys dans la douceur d’une nuit d’orient, entourés de Chinois élégants.

 

Visite de l’île Shamian, du marché Qingping et du temple de Guangxiao

 

Après un bon thé, notre matinée commença par la visite de l’île Shamian, où les bâtiments coloniaux français et anglais se succèdent le long de squares, bloqués entre la rivière des Perles et la canal les séparant de la ville. Atmosphère « nostalgique » et décalée, qui semble ravir les jeunes mariés chinois venant se faire photographier devant les symboles de l’impérialisme occidental, comme l’église française Notre-Dame-de-Lourdes.

Puis nous quittâmes à pied l’ex-concession pour nous enfoncer peu à peu dans la ville. Première étape : le marché de Qingping, avec ses plantes, ses animaux séchés, ses étranges concoctions dont le secret semble remonter à la nuit des temps. Si les supposées vertus thérapeutiques de tous ces ingrédients dignes d’une histoire de sorcellerie me laissèrent froid, leur effet esthétique en revanche m’inspira davantage – et si c’était le secret ?

L’atmosphère étouffante et les odeurs entêtantes de ce marché d’apothicaires eurent vite raison de notre curiosité, et peu après nous retrouvions les rues animées de Canton. Nous prîmes la direction des rues Xia Jiulu et Shang Jiulu, une des artères commerçantes de la ville, où Katya put faire un peu de shopping.

Pendant ce temps, les nuages noirs avaient peu à peu bouché le ciel, et tout à coup un mur d’eau s’abattit sur la ville. Heureusement nous pûmes assister au lavage express à l’abri d’arcades marchandes.

La pluie ralentit mais ne cessa pas complètement. Nous poursuivîmes notre route jusqu’au temple bouddhique de Guangxiao, fondé au IVe siècle, que nous eûmes le plaisir de visiter avant d’aller prendre notre déjeuner dans un restaurant végétarien adjacent, où je découvris que certains légumes, bien préparés, pouvaient prendre la consistance et le goût de la viande.

Après le repas, nous visitâmes un peu plus loin le temple bouddhique des Six Banians, qui est construit autour d’une haute pagode.

 

Cérémonie de thé au jardin des Orchidées et promenade au parc Yuexiu

 

A la sortie du temple, nous décidâmes d’arrêter un taxi pour nous reposer un peu jusqu’à notre prochaine étape, le jardin des Orchidées, à deux kilomètres au nord.

Hélas, saison oblige, pas d’orchidées ou presque dans cet élégant jardin, qui nous offrit malgré tout une bonne bouffée d’air et de quiétude en plein cœur de la ville. Le billet d’entrée inclut même une consommation de thé ou une réduction sur les cérémonies de thé – option que nous choisîmes – dans une des maisons de thé du jardin.

Nous rechargeâmes un peu les batteries avant de glisser de l’autre côté de la rue, dans le vaste parc Yuexiu – 93 hectares – où nous nous promenâmes un bon moment, au hasard des allées, découvrant la statue des Cinq Chèvres – symbole de la fondation de la ville par cinq divinités venues à dos de chèvre –, les vestiges des remparts de la ville, le fort, des musées, des lacs, une piscine et autres activités de plein air, et même le stade de football de la meilleure équipe de football de Chine, le Guangzhou Evergrande FC, qui jouait un match au moment où nous passions.

 

Les amoureux de la rivière des Perles

 

Quand nous quittâmes le parc, le soleil était en train de se coucher. Nous empruntâmes le métro pour rejoindre la place Haizhu, tout droit au sud, près de la rivière. Là-bas, nous nous mîmes à la recherche de la cathédrale catholique du Sacré-Cœur, édifice néogothique construit par l’architecte français Guillemin.

Enfin, nous regagnâmes la rivière des Perles, le long de laquelle nous fîmes une dernière promenade, à la recherche d’un restaurant. La fatigue et la faim nous empêchèrent de goûter pleinement à la douce atmosphère des berges où les promeneurs, les amoureux, les touristes se croisaient à l’abri des banyans.

Ne pouvant trouver notre bonheur pour la seconde soirée consécutive – un comble dans la capitale gastronomique de la Chine ! –, nous revînmes sur l’île Shamian, où nous dînâmes pour la seconde fois dans l’agréable restaurant thaï que nous avions découvert la veille.

C’était notre dernière soirée avant le retour. Je regardai notre billet électronique pour vérifier l’heure du départ : 17h35. Je m’étonnai de cette heure tardive, croyant me souvenir que nous partions le matin. Katya me rassura et nous oubliâmes tout cela pour jouir de nos derniers instants en Chine. Nous étions fatigués et heureux, ne nous doutant pas de l’horrible journée qui nous attendait le lendemain.

 

Que faire pour manquer son avion quand on a trop de temps ?

 

Le matin, nous prîmes tout notre temps. Réveil tranquille et nouvelle balade sur l’île des Concessions, dégustation de « raviolis » cantonais, dernier shopping – encore du thé ! Quand nous eûmes finis notre petit tour, nous vînmes nous reposer dans le parc Shamian, près de notre hôtel, en face de la rivière. Tout était parfait ; trop parfait.

Avec mon penchant névrotique, je décidai de consulter encore une fois notre billet électronique : 17h35, c’était bien ça. Mais quelque chose me dérangeait. Mes yeux restaient fixés sur l’heure de départ. L’encre de l’imprimante avait un peu bavé. Je fixai mon regard encore un peu plus. Il me sembla soudain que la raison de cette « bavure » était la superposition de chiffres ; comme si l’imprimante avait imprimé plusieurs chiffres au même endroit. C’était très léger, presque imperceptible au premier coup d’œil. Je fis part de mes doutes à Katya. Elle se moqua de moi, me regardant comme un paranoïaque obsessionnel.

J’insistai néanmoins pour aller consulter Internet à l’hôtel, histoire d’avoir le cœur net. Katya m’y suivit sans croire un mot de mes supputations. J’ouvris ma boîte mail et allai chercher dans le dossier sur la Chine le mail de réservation – envoyé par Opodo. Lorsque la page s’afficha, nous découvrîmes avec horreur que notre horaire de départ était 11h10 et non pas 17h35 ! Nos yeux passèrent aussi vite sur la pendule de l’ordinateur : 13 heures passées ! Nous avions manqué notre avion…

Paniqués, nous bouclâmes nos bagages au plus vite, sautâmes dans un taxi et prîmes la direction de l’aéroport. Nous avions du mal à rassembler nos idées. Comment cette erreur s’était-elle produite ? Comment allions-nous faire à l’aéroport ? Pourrions-nous rejoindre Moscou ? Et plus que tout, j’étais furieux après moi de ne pas m’être écouté la veille quand je m’étonnai de l’horaire tardif indiqué sur le billet électronique. Tout se mélangeait ; mon cerveau était en ébullition.

 

Une fin de voyage apocalyptique

 

Nous arrivâmes à l’aéroport la tête retournée, ce qui bien sûr devait entraîner une nouvelle catastrophe. A peine descendus du taxi, un garçon nous sauta dessus pour prendre nos bagages. Nous lui expliquâmes que nous n’avions pas besoin et que ce n’était pas le moment. Mais il n’écouta pas ; il ouvrit le coffre, sortit les bagages et le referma. Nous n’étions pas très contents qu’il ait insisté malgré notre refus et lui fîmes comprendre. Le taxi nous salua et démarra doucement. Je jetai un rapide coup d’œil circulaire autour de nous. Je tressaillis : nous avions oublié de prendre la table de cérémonie de thé et mon gilet ! Nous les avions posés sur la plage arrière et nous les aurions naturellement pris si nous avions nous-mêmes ouvert le coffre…

N’en croyant pas mes yeux – nous ne pouvions pas enchaîner les galères comme ça ! –, je me mis à courir après le taxi, qui longeait tranquillement l’aérogare. Je hurlais et lui faisais des grands signes, mais rien n’y fit, il ne regarda pas une fois dans ses rétroviseurs, et le véhicule accéléra soudain et s’en alla sur la voie rapide qui repartait de l’aéroport vers la ville.

Je revins épuisé et déprimé jusqu’à Katya, à côté de laquelle se tenait le jeune garçon qui avait voulu faire du zelle et qui me regardait d’un air affecté. Nous pénétrâmes dans l’aéroport sans énergie, au moment même il nous fallait nous battre pour obtenir dieu sait quoi…

Nous montrâmes « naïvement » nos billets électroniques à une hôtesse, qui rechercha le vol en vain – elle aussi lisait 17h35 ! – avant de nous dire, incrédule, que le vol était déjà parti. Naturellement. Elle nous invita à contacter le bureau d’Aeroflot – la compagnie qui assurait notre vol retour – à Guangzhou. Nous dépensâmes nos derniers yuans pour acheter une carte téléphonique. Katya tomba sur une personne qui lui expliqua en russe que leur bureau était dans un hôtel situé à côté de l’aéroport et nous invita à nous y rendre. Entre-temps, j’avais compris d’où était venue l’erreur d’impression : sur la seconde page du billet électronique, à la ligne « heure d’arrivée » il n’y avait aucune information ; 17h35 était en fait l’heure d’arrivée à Moscou, et cette « heure d’arrivée » était venue – pour une raison inconnue – se surimprimer sur « l’heure de départ » (11h10).

Encombrés de tous nos bagages, nous partîmes à la recherche de l’hôtel et du bureau d’Aeroflot. Nous le trouvâmes assez facilement, mais n’en fûmes guère plus avancés : le responsable russe nous expliqua qu’il ne pouvait rien faire pour nous puisque nous avions acheté le billet via une agence et non directement chez Aeroflot. Il nous précisa aussi que le prochain vol direct pour Moscou aurait lieu deux jours plus tard !

Totalement dépités, nous regagnâmes l’aéroport, où nous devions désormais tenter d’acheter deux billets pour Moscou. Une hôtesse chercha longuement sur son écran deux billets pour le jour même au meilleur prix. Verdict : un seul vol – Cathay Pacific via Hong Kong – qui nous coûta aussi cher que les deux allers-retours directs Moscou-Guangzhou. Un désastre financier ! Au moment de taper mon code de carte bancaire, nouvelle angoisse : ma carte allait-elle nous « lâcher » encore une fois et le compte était-il suffisamment approvisionné ? « Heureusement » la transaction fut acceptée.

Jusqu’au soir, nous attendîmes dans l’aéroport partagés entre la colère – contre nous, et contre Opodo et ses merveilleux billets électroniques ! – et l’angoisse de souffrir un nouveau problème, qui nous empêcherait de rentrer chez nous.

Pas de nouvelle tuile, mais une forte tension lors de l’embarquement avec un steward, qui nous expliqua que nos rouleaux d’estampes chinoises étaient trop grands pour rentrer en cabine. « Doit-on les découper ? » lui demandai-je avec des éclairs dans les yeux. Il se contenta heureusement des boîtes.

Le trajet fut long et épuisant. Nous arrivâmes à Moscou le lendemain à 6 heures du matin, sonnés et maussades. Etrange conclusion pour un si beau voyage. Hélas la poisse devait nous poursuivre – la loi des séries, il paraît – jusqu’à Moscou, où notre retour fut apocalyptique…