L’eau et le feu, notre pain quotidien
Mardi 24 février. Malgré nos installations de la veille et la lutte menée par notre poêle, toute la nuit, contre le froid du dehors, celui-ci finit par atteindre nos lits dans la matinée. Je me fais violence pour m’extirper de mon duvet et aller rallumer le poêle. En passant devant la fenêtre, j’aperçois le soleil rougeoyant qui se lève au-dessus de la Bouriatie. J’oublie le froid et me précipite dehors pour saluer le retour de l’astre sur les rives du lac. Je prolonge mon tête-à-tête autant que je peux, tentant de « graver », avec mon appareil, la lente métamorphose des tons de ce tableau saisissant. Les rayons de sa Majesté sont encore trop timides ; le froid m’enfonce peu à peu ses milliers de lames dans la peau ; il faut rentrer préparer le feu.
Katya se lève et s’occupe du petit déjeuner et du thé. La pièce se réchauffe vite. Nous commençons à prendre nos marques et nos habitudes. Parmi celles-ci, après l’allumage du poêle, il y a notre marche matinale jusqu’au lac pour aller y puiser de l’eau. Nous partons avec nos bouteilles et notre seau. Quand nous arrivons au trou, nous constatons que la glace l’a rebouché ; nous sommes les premiers à venir aujourd’hui. J’empoigne le lourd pic à glace et détruit, choc après choc, ce que le souffle glacial de l’hiver a mis une nuit à bâtir. Nous retournons déposer notre eau et repartons aussitôt nous promener sur le lac.
Le lac étouffe sous la glace
Nous explorons prudemment notre nouveau territoire. Nous progressons lentement, à cause du risque de glissade mais surtout de la beauté irrésistible de cette feuille de verre géante miroitant sous le soleil, suspendue entre le ciel et les flots. Une beauté venimeuse, qui ne cesse d’inquiéter. Les craquements sourds qui résonnent autour de nous, jusque sous nos pieds, sont effrayants. Les cassures, les fissures apparaissent à vue d’œil. On s’attend à ce que le sol se dérobe soudain et nous entraîne dans une chute sans fin vers les bas-fonds de cette « mer » d’eau douce. La sensation est étrange, entre ravissement et angoisse.
Nous découvrons aussi nos premières grottes, dans lesquelles nous pénétrons à moitié accroupis, comme dans la bouche d’un monstre, craignant que ses dents de glace se referment sur nous. Dedans, c’est éblouissant : on se croirait dans l’atelier d’un souffleur de verre, qui aurait recouvert de ses verreries jusqu’à la roche.
Le lac gémit, se contracte et se rétracte ; il étouffe dans sa camisole de glace. Nous sommes bientôt bloqués par sa « chair » écorchée, déchirée, qui dresse devant nous un mur infranchissable. Est-ce une mise en garde ? Nous faisons demi-tour, alertes comme des pingouins se déhanchant sur la banquise.
Le royaume des petites choses
Nous quittons le lac pour aller lire assis au soleil devant notre maison, à l’abri du vent. Et boire le thé. Après cette pause délicieuse, nous nous dirigeons vers la forêt, avant que la nuit ne tombe, pour aller chercher le reste de l’arbre mort que nous avions découvert la veille. Je suis de corvée de bois pendant une demi-heure. Je ne sens plus le froid, mais les muscles de mon dos endolori qui s’échauffent.
Le soir est déjà là. Je prépare le poêle pour la nuit. Le bois crépite. Il fait très chaud. J’en profite pour me laver les cheveux, près du feu. Finalement, serait-ce plus agréable qu’une salle de bains française ?
Nous nous offrons un vin chaud en apéritif, avec tuc et sukhariki – petits croûtons russes. Pendant le repas, je sonde l’âme de Katya, voulant savoir ce qu’elle éprouve ici, dans cette maison rudimentaire, au bord du lac Baïkal. Mes questions manquent leur but. Est-ce son caractère ou ses origines ? mais Katya répugne à exprimer ses sentiments si directement ; à disserter « à la française » à l’occasion d’un repas. C’est l’heure des malentendus.
Nous finissons la soirée le dos appuyé contre le poêle, à la lueur d’une bougie, Katya un livre à la main, et moi à remplir ce carnet. Nous « montons » bientôt nous coucher. Nos lointains voisins dorment depuis longtemps ; Uzur est plongé dans le noir. J’éteins notre petite lampe. Répondant aux cris du lac, la maison craque de partout ; le vent du nord souffle fort ce soir. On dirait que quelqu’un rôde tout autour. Qu’elle erre cette âme en peine ; elle ne nous fait plus peur. Nous nous abandonnons au sommeil et à nos rêves, emmitouflés dans nos duvets, heureux comme des rois dans notre isba.
Visite guidée de notre isba :
Bellissimo !!
Sans voix... avec en prime de belles photos de Ekataryna. Bises.
C'est magnifiquement beau ! Le seul truc qui me retient d'aller y faire un tour, c'est le froid glacial. Déjà que j'ai mal vécu un hiver parisien sans chauffage, là, rien que d'y penser, je grelotte. La lutte contre le froid, c'est trop dur. Même si le résultat a l'air d'en valoir la peine...