Une visite surprise
Lundi 23 février. Je me lève un peu plus tôt que Katya pour rallumer le poêle. Il faut absolument réchauffer notre pièce, dans laquelle toute nos réserves d’eau ont gelé. La journée commence sur une bonne note : une allumette suffit à faire prendre le feu – Konstantin avait dû s’y reprendre à dix fois.
Katya se lève et, avant même que nous ayons pu parler d’une éventuelle retraite, le destin frappe à notre porte. Nous entendons le bruit d’une voiture qui s’arrête devant la maison. Nous sortons à la rencontre de deux hommes, qui nous demandent ce que nous faisons là. Nous les prions d’entrer, et Katya leur explique, en leur montrant un papier officiel, que nous sommes ici avec l’autorisation de Konstantin.
Les deux hommes semblent surpris. Ils nous posent des questions sur les prix négociés, la location, le bois, etc. Tout leur semble trop cher – surtout le bois. Un classique en Russie qui prête à rire lorsque l’on sait combien les gens peuvent ici surpayer, avec une once de fierté, des choses superflues.
« Il serait bon que tout cet argent aille à la réserve plutôt que dans la poche d’un de ses employés » glisse malicieusement Igor, l’un des deux visiteurs. Son collègue et lui sont des gardes de la réserve. Ils sont passés inopinément à Uzur – c’est ce qu’ils disent, du moins – et sont venus nous rencontrer, intrigués par la fumée sortant de notre cheminée.
Fête improvisée et belles promesses
Nous sommes le 23 février ; en Russie, c’est le jour des hommes, l’équivalent du 8 mars pour les femmes, qui est une fête très importante ici – et pas que pour moi. Malgré l’heure matinale, on ouvre une bouteille de vin – affreusement glacé – et on boit. Les Russes ont l’art de faire la fête ; elle s’improvise tout le temps et partout ; pour un tout ou pour un rien.
Igor nous offre du chocolat et un peu du cocktail – café + thé ! – que contient son thermos sans âge. Surtout nos amis nous montrent comment bien profiter du poêle : le remplir de bois copieusement afin qu’il donne un maximum de chaleur et fermer le tuyau le plus vite possible, lorsque le charbon incandescent rougit à l’intérieur. « Jamais je ne pourrai vivre là », entend-on avant de croiser des regards mi-compatissants mi-admiratifs. Les deux hommes repartent très vite et nous promettent de venir nous apporter du bois, craignant que nous en manquions bientôt. Igor nous laisse son thermos en « gage ».
Très vite, le miracle se produit : la pièce se réchauffe sensiblement. Nous avons rentré le thermomètre : + 8°C. Puis 10 ; et 12, la barre symbolique de nos duvets est atteinte. A mi-hauteur, car au sol la température reste très froide. Je propose à Katya de poser les lits métalliques sur l’estrade en bois ayant servi de sommier aux pêcheurs, afin de gagner de la hauteur et de la chaleur. Après cela, nous replaçons notre table près du poêle, le long duquel nous installons des rideaux de fortune pour nous protéger de la chaux.
Première marche dans la forêt
Nous retrouvons le moral ; le soleil lui-même y va de ses encouragements, en inondant notre pièce de ses rayons généreux. Nous fermons le tuyau du poêle, suivant scrupuleusement les conseils de nos visiteurs, et partons explorer un des flancs de montagne entre lesquels notre maison est posée. Nous espérons, pour notre première sortie, rejoindre le piton rocheux qui domine la baie au sud et ramasser au passage un peu de bois mort, afin d’économiser nos maigres réserves.
Entrés dans la forêt, nous tombons presque aussitôt sur un trésor : une grosse branche morte qui s’est fracassée sur le sol. Nous remplissons nos sacs et retournons déposer notre butin à la maison. Encore une bonne nouvelle.
Ragaillardis, nous reprenons le chemin de la forêt et du pic. Nous commençons notre ascension dans la neige. La journée est déjà bien avancée ; le ciel éclaire le lac et les falaises d’une lumière douce et reposante.
Nous avançons lentement ; nos lourdes bottes s’enfoncent dans la neige, où nous lisons avec un mélange d’excitation et d’appréhension les innombrables empreintes – de toute taille – laissées par les animaux dans la neige. Pour rassurer Katya, un peu méfiante, je lui assure – sans savoir – que les loups ne viendraient pas s’aventurer en journée si près des habitations.
La pente est de plus en plus raide et la neige de plus en plus épaisse ; nous peinons comme des diables, seuls sous les arbres frémissants, dont l’épais silence n’est troublé que par les coups réguliers d’un pivert affairé.
L’hiver est doux près du poêle
Nous arrivons enfin sur l’éperon que nous cherchions à atteindre. Nos efforts sont récompensés par une magnifique vue sur la baie d’Uzur. Entre les dents du pic, après un peu d’escalade, nous apercevons notre maison en contrebas.
La descente est bien plus facile. Nous nous laissons glisser dans la neige, fine comme du sucre. Nous nous amusons bien et, par moments, faisons une petite pause pour ramasser du bois.
Revenus à la maison, nous sommes de corvée de bois. Je « divise » notre butin à la hache avant de rallumer notre poêle encore chaud.
Le soir, nous battons des records à hauteur de nos lits : +19°C ! Il y a de la joie dans notre isba. Katya prépare une casserole de pâtes que nous arrosons au vin rouge. J’écris mes premières lignes, et nous allons nous coucher heureux, malgré les craquements de la maison, qui nous font parfois sursauter. En deux nuits dans notre petite maison, nous sommes passés de l’enfer au paradis. Allongés sous notre plafond, le monde extérieur et ses -20°C ne nous font plus peur. Le poêle est notre ami ; l’hiver sibérien nous semble désormais surmontable.
+19 °C. C'est presque trop pour la nuit !!! Bon courage pour la suite. Bises à vous deux.
Ah, enfin on se réchauffe ! J'étais congelée hier soir après la lecture du jour... Et c'est beau tout ce blanc étincelant sous le soleil ! Très lumineux...