Jour 8 : Krefeld – 70 km

C’est l’histoire d’une autre petite fille (voir Neuruppin). Une petite fille qui devait porter en elle, tout au long de sa vie, le souvenir fantasmé d’un arrière-grand-père allemand qu’elle n’avait jamais connu.

Un arrière-grand-père peintre et photographe, attiré comme les autres à son époque par l’air normand, avant de succomber à l’appel de Paris, laissant derrière lui femme et enfant. La guerre franco-allemande de 1870 coupera définitivement les liens. Son nom et son origine furent bientôt refoulés par les deux guerres mondiales qui suivront. « Il était hollandais » trancha le père de la petite fille pour régler le problème.

Mais rien n’y changea, la petite fille chérissait son ancêtre allemand. Le temps passa, la petite fille devint femme et me donna naissance. Aussi loin que je me souvienne, le souvenir de l’arrière-grand-père allemand planait sur notre famille. Son nom était associé à une ville inconnue, Krefeld, si proche et si lointaine.

Le moment que ma mère attendait depuis son enfance était venu. Nous y étions, à Krefeld, là où il était né. Le matin, nous traversâmes la ville à la recherche des archives, que Kirstin avait gentiment contactées pour préparer notre visite. Le centre était étendu ; ce fut plus compliqué que prévu, mais nous finîmes par trouver le bâtiment.

Un homme de haute taille caché derrière une petite moustache nous accueillit. Je m’adressai timidement à lui en anglais, prêt à bredouiller quelques mots d’allemand si nécessaire. « Je parle français », nous dit-il placidement. Malgré son air bourru, l’homme était d’une grande gentillesse et se montra très serviable. Il nous installa dans une salle où il nous apporta les registres d’état civil de l’année que nous lui avions demandée.

Ma mère trouva facilement l’acte de naissance de son ancêtre, écrit d’une belle plume, au temps où l’Allemagne n’était encore qu’un rêve à construire. Commença alors le plus dur. Nous avions désormais le nom de ses parents ; il nous fallait retrouver leur acte de naissance ou de mariage. Nous parcourûmes longuement les archives, année après année, encore et encore ; sans résultat. Les parents, la famille n’était donc pas de Krefeld.

Nous quittâmes les archives mi-satisfaits mi-déçus : nous avions retrouvé la trace de l’arrière-grand-père mais sa lignée, et les espoirs d’en savoir plus, venaient de s’effacer. Où chercher désormais ? Comment s’y prendre ? Il est bien probable que nous n’en sachions jamais davantage.

Nous partîmes ensuite visiter la ville. Archétype de la Rhénanie, industrielle, laborieuse et un brin mélancolique, la ville ne nous laissera pas de souvenir particulier, même si la balade ne fut pas désagréable. Nous pûmes aussi voir combien le football et l’équipe nationale pouvaient compter pour l’Allemagne. Partout des drapeaux aux fenêtres, sur les voitures, les vélos ; hommes, femmes et enfants à l’unisson ; tous derrière leur équipe et leur pays.

Nous décidâmes ensuite de rejoindre le Rhin, pour y tenter une balade. Ce ne fut pas tâche aisée. Nous nous retrouvâmes pris dans la mégalopole rhénane, tournant longuement sans jamais pouvoir apercevoir le fleuve. Soudain nous nous retrouvâmes sur un long pont au-dessus du Rhin. Nous étions désormais à Duisbourg. Je pris la première rue qui partait le long du fleuve au milieu des usines et nous eûmes la bonne surprise de découvrir le Rheinpark, un petit parc verdoyant aménagé au milieu des usines et des hauts-fourneaux. Nous y fîmes une petite halte sympathique.

Nous repartîmes le long du fleuve au milieu d’un étonnant paysage industriel – des Russes vivant là-bas, voyant notre plaque d’immatriculation, s’adressèrent gentiment à nous, pensant que nous étions perdus. Nous fîmes encore une halte sur un chemin longeant le Rhin au milieu des arbres, avant que la pluie nous poussât à revenir.

Le soir, nous assistâmes, devant notre télévision, à la victoire de la Nationalmannschaft face à l’équipe de France. Nous allâmes dîner juste après dans le restaurant chinois que nous avions découvert la veille. L’atmosphère était gentillette : les enfants agitaient des drapeaux allemands et faisaient sonner quelques klaxons. La journée s’achevait en douceur. Comme notre voyage, qui touchait – presque – à sa fin.