Jour 5 : Gdansk-Neuruppin – 530 km

Nous quittâmes Gdansk sur un petit nuage, conquis par la ville, le pays et mieux encore par les gens, que nous avions trouvé charmants. J’effaçais ainsi avec joie l’image un peu rude qu’ils m’avaient laissée lors de mon passage à Cracovie.

Il n’était pas possible de quitter Gdansk sans avoir vu la mer de plus près. Nous décidâmes de faire une courte étape à Sopot, le « Deauville » polonais. La station, en effet, est très chic et plutôt agréable – plus que Deauville – malgré la foule et sa jetée payante (!). Le front de mer, quant à lui, est très beau : longue plage de sable blanc et petites falaises verdoyantes rappelant la Bretagne ; comme l’eau, dont la température est proche de la celle de la Manche en été.

Il fallut repartir vite, hélas. La pluie brutale qui s’abattit sur la voiture peu après nous consola. Commença une longue et pénible route traversant de nombreuses agglomérations industrielles. Les feux et les carrefours qui se succédaient freinèrent notre progression.

Je roulai longuement et lentement. Je redonnai le volant à Katya un peu avant la frontière allemande. Nous avions enfin rejoint des voies rapides et nous espérions pouvoir rattraper le temps perdu. La voiture en décida autrement. Soudain, Katya nous demanda si nous ne sentions pas quelque chose de spécial et une minute après la voiture eut quelques soubresauts inquiétants et refusa d’aller plus loin. Nous nous garâmes en catastrophe sur la voie d’arrêt d’urgence. C’est peu de dire qu’on n’était pas fiers. Nous n’étions qu’à la moitié de notre trajet vers la France et la voiture semblait déjà à bout de souffle.

Nous lui offrîmes un peu d’huile – les capteurs électronique nous indiquaient un niveau d’huile trop bas – et la laissâmes refroidir un peu. Je repris le volant pour une conduite en douceur jusqu’au premier garage.

Les premiers kilomètres furent plutôt rassurants ; heureusement car nous ne rencontrâmes pas un seul garage. Nous pénétrâmes en Allemagne sans enthousiasme, craignant toujours une panne soudaine. Je continuai néanmoins en direction de Berlin, au milieu de jolies forêts de conifères. Le jour commençait à faiblir, et une autre inquiétude vint s’ajouter à la première : nous avions réservé une chambre dans une petite pension et il nous fallait arriver avant 21 heures.

Au milieu de cette « grisaille », nous eûmes une petite éclaircie apportée par les animaux, qui nous offrirent un spectacle étonnant : le long de la voie rapide, ce fut une succession de biches et de faons qui regardaient passer placidement les voitures. Plus étonnant encore, un couple de sangliers « siégeaient » royalement au milieu des biches. Le tableau avait tout d’un conte et Katya oublia un peu le sort de sa petite voiture.

Nous quittâmes la voie rapide pour prendre la direction de Neuruppin. La route au milieu de la forêt était magnifique mais le temps qui passait nous empêcha de goûter pleinement son charme bucolique. Les neuf heures approchaient. Je m’arrêtai et décidai d’appeler le propriétaire de la petite pension, sans succès – nous comprîmes plus tard que nous avions fait une erreur d’indicatif.

Nous arrivâmes enfin à Neuruppin. Neuf heures étaient passées. Nous ressentîmes un peu de soulagement ; la voiture avait tenu jusqu’à notre destination du jour.

Mais ce soulagement fut vite balayé par les gros travaux qui avaient été entrepris dans le centre de la petite ville allemande. Ceux-ci compliquèrent terriblement la recherche de notre pension. Après avoir tourné plus de quarante minutes, bloqués par des impasses ou des sens interdits, nous finîmes par demander de l’aide aux passants – très peu nombreux – , qui nous renseignèrent gentiment.

Ce ne fut pas gagné pour autant. Nous tournâmes encore un peu, et soudain la rue que nous cherchions nous apparut. Il était plus de dix heures et tout était calme dans la ville. Nous arrêtâmes la voiture devant la pension, plongée dans l’obscurité et le silence. Nous sonnâmes ; personne ne répondit.

Un voisin qui rentrait chez lui nous expliqua en allemand que tout le monde dormait, que nous arrivions trop tard, et que c’était dommage pour nous… Nous sentîmes la fatigue s’abattre sur nous. Après le stress de la journée, allions-nous devoir dormir dans la voiture ?

Katya ne l’entendit pas ainsi. Elle sonna encore et encore. En vain, pensais-je. Mais, alors que nous allions repartir à la recherche d’un hypothétique hôtel, un bruit sembla se faire entendre de l’autre côté de la porte. Un mirage ? Non, une clé tourna bientôt et la porte s’ouvrit. Un homme d’une soixantaine d’années aux yeux ensommeillés nous fit face. Il pesta un peu et nous dit en allemand – que je compris pour la seconde fois, à ma grande surprise – qu’il était très tard et nous reprocha de ne pas l’avoir appelé.

Nous lui expliquâmes que nous avions bien essayé de l’appeler et que nous avions perdu beaucoup de temps à tourner en rond dans le centre ville. Pendant quelques secondes, nous nous demandâmes ce qui allait advenir, notre hôte affichant une humeur toujours rude. Soudain l’expression de son visage changea, et il nous demanda de nous garer un peu plus loin avant de le rejoindre à l’intérieur.

Il nous emmena dans notre chambre, nous donna tout ce qui était nécessaire et nous fixa rendez-vous pour le petit déjeuner. Je lui présentai nos excuses en allemand et, à sa mine bienveillante, je compris qu’il nous avait déjà pardonné.

Notre chambre et nos lits, plutôt simples, nous semblèrent princiers et nous les appréciâmes comme si nous étions revenus du fond de la jungle. Nous nous endormîmes le cœur léger, sachant que le lendemain serait une journée forte en émotion pour Katya…