Sur les bancs de l’école

 

Nous avions décidé de nous rendre à Orchha sur les conseils de nombreux voyageurs expliquant sur Internet que cette petite ville était le meilleur souvenir de leur voyage. Le moins que l’on puisse dire c’est que nos attentes ne furent pas déçues. Pour nous aussi, Orchha restera le point culminant de notre voyage.

Notre incroyable journée commença par un petit déjeuner devant notre hôtel, pendant lequel je pus profiter caméra au poing des scènes de rue les plus pittoresques. Nous attendions la venue d’une personne qui devait nous conduire à l’école d’Eeva, la Finlandaise que nous avions rencontrée la veille à Agra (voir Agra-Taj Mahal). Nous pensions bientôt apercevoir une voiture ou du moins un rickshaw, mais eûmes la surprise de découvrir une petite moto sur laquelle il fallut tenir à trois – rien de plus normal en Inde.

Nous traversâmes lentement le village, sous le regard amusé des Indiens, étonnés de voir deux étrangers tassés à l’arrière d’une petite moto. Puis nous quittâmes la ville et bientôt nous nous retrouvâmes en pleine campagne. Soudain notre chauffeur s’arrêta et nous désigna de la main l’entrée de l’école. A notre grande surprise, l’école semblait construite au milieu de nulle part. Nous apprîmes en arrivant que notre chauffeur était aussi le « directeur » de l’école. Il ouvrit la porte rudimentaire qui conduisait à l’école, et nous découvrîmes alors des enfants s’égayant dans la cour. Quelques petites filles plus curieuses ou plus vives que les autres vinrent à notre rencontre, tout sourire. Nous fîmes aussi la connaissance d’une volontaire australienne qui enseignait ici depuis quelques mois. Quelques minutes plus tard, la récréation se terminait et nous étions invités par une des enseignantes à prendre place dans sa classe pour une leçon d’anglais. Ce court moment passé au milieu de ces enfants « défavorisés » fut vraiment passionnant.

Après avoir salué les enfants et les enseignants, nous quittâmes l’établissement avec émotion. En quelques jours, nous avions entrevu – et épousé – toute les contradictions de l’Inde : « complices » des enfants des rues à Fatepuhr Sikri puis témoins – et soutiens – à Orchha de la scolarisation de ceux que les contraintes économiques auraient dû condamner au même sort que les premiers. Prisonniers de ces contradictions et incapables d’apprécier réellement les conséquences sociales de cette scolarisation, force est de reconnaître et de saluer malgré tout l’enthousiasme des gens comme Eeva et de son équipe pédagogique, qui donnent beaucoup de leur temps et de leurs ressources pour essayer d’améliorer le quotidien et l’avenir des enfants indiens.

 

Les beautés secrètes de l’Inde

 

Nous abandonnâmes en route notre chauffeur et son étroite monture, souhaitant profiter du paysage en regagnant tranquillement le centre de la ville.

Il fut alors temps de commencer nos visites culturelles : la ville regorge de palais et de temples. Nous commençâmes par les palais du Raja Mahal et du Jehangir Mahal. Ce dernier fut édifié au début du XVIIe siècle par le Bundela Bir Singh Deo afin de recevoir la visite de l’empereur Jehangir (fils d’Akbar et père de Shah Jahan) et de son épouse. Des centaines d’ouvriers et d’artisans oeuvrèrent pendant plus de vingt ans à la réalisation de ce magnifique palais mêlant influence hindoue et moghole.

Après avoir visité découvert l’étable à chameaux, nous partîmes à la découverte de l’île sur laquelle les palais sont édifiés : merveilleuse balade au milieu des champs parsemés de temples hindous. Seuls ou presque – aucun touriste –, nous nous laissâmes gagner par la quiétude du lieu ; nous nous sentions légers, heureux de pouvoir jouir de ces beautés « secrètes », très loin de l’agitation des villes indiennes.

Nous nous enfonçâmes jusqu’au bout de l’île, où nous nous offrîmes une petite halte près de la rivière. Au retour, nous quittâmes le sentier que nous avions emprunté afin de visiter un des plus grands temples. A notre grande surprise, nous découvrîmes qu’une famille de paysans y avait élu domicile. Les « locataires » – une femme et sa petite fille – nous invitèrent gentiment à pénétrer dans leur céleste demeure. Puis elles nous montrèrent comment elles coupaient les herbes destinées à nourrir le maigre bétail. Nous laissâmes évidemment une pièce à la petite fille, qui s’était pris de passion pour les cheveux de Katya, dans lesquels elle passait ses doigts à l’envi, puis nous nous remîmes en route. Katya voulait visiter le temple de Lakshmi-Narayan, construit sur une hauteur à l’autre bout de la ville.

 

Visite des temples et petites rencontres

 

Après une bonne marche, nous passâmes les portes du temple réputé pour la qualité de ses peintures murales, vite suivis par un petit garçon qui souhaitait nous y guider. Nous tentâmes de l’en dissuader, mais il sut profiter de notre fatigue – une longue marche sous un soleil de plomb – pour infléchir notre position. Il se montra très sympathique, répondant aux nombreuses questions de Katya sur les divinités indiennes représentées.

Après avoir donné un pourboire à notre guide – dont le visage s’éclaira si fort en recevant l’argent que nous comprîmes que ce devait être ici une « grosse » somme –, nous redescendîmes vers la ville, rassemblant ce qui nous restait de force pour aller visite le temple de Chaturbhuj, destiné à installer l’idole du dieu Rama, ramenée à Orchha par la reine Ganesh Kuanwari. L’idole fut placée dans le palais voisin – devenu aujourd’hui temple de Ram Raja – en attendant la fin de la construction du temple, mais l’idole ne fut jamais déplacée et le nouveau temple, qui domine la ville de ses deux majestueuses tours coniques et de son dôme, demeure vide.

Après avoir versé un nouveau « bakchich » – le dôme étant théoriquement fermé du fait de l’heure tardive –, nous grimpâmes jusqu’au dôme afin de profiter d’une vue panoramique sur la ville, accompagnés d’un joyeux Indien aux talents de chanteur, qui nous fit aussi une imitation – très drôle – des femmes russes prenant la pose devant les monuments.

En ressortant du temple, nous fîmes un dernier effort en grimpant une petite colline mitoyenne sur laquelle était plantée un temple modeste, où un « prêtre » aux allures d’ermite semblait avoir trouvé refuge. Là-haut, nous fîmes la connaissance d’un petit garçon, accouru vers nous lorsqu’il nous avait aperçus depuis sa maison, en bas de la colline. Il nous invita à le suivre chez lui, désignant sa maison de la main, mais, timides et harassés, nous déclinâmes sa sympathique proposition – qui ne fut pas la dernière, car le lendemain était jour de fête et il semble que ce soit un bon signe d’avoir un étranger à sa table en cette occasion.

 

La fêtes des couleurs : Holi chez le dieu Rama !

 

Nous retournâmes à l’hôtel nous rafraîchir et nous reposer un peu avant d’aller dîner dans un restaurant que nous avait conseillé le jeune Indien qui nous avait ouvert les portes du dôme.

Enfin nous déposâmes mon appareil photo à l’hôtel afin de visiter le temple de Rama, ouvert le matin et le soir pour les audiences publiques : audience, car le dieu Rama – roi mythique de l’hindouisme et incarnation de Vishnu – règne sur Orchha depuis que le dernier monarque Bundela lui a légué ses terres. Orchha n’est donc pas un simple territoire de la République indienne, mais un royaume céleste sur Terre.

Voilà pourquoi, surmontant notre fatigue, nous pénétrâmes avec curiosité vers 23 heures à l’intérieur du temple de Rama, découvrant les policiers qui veillent sur l’idole comme on veille sur un monarque de chair et de sang. Nous pensions rester quelques minutes tout au plus afin de rentrer nous reposer, mais alors que nous voulions sortir du temple, on nous invita à nous asseoir au milieu de la cour, où de nombreux fidèles attendaient silencieusement. On nous expliqua alors qu’à minuit débuterait la cérémonie pour Holi, la fête des Couleurs. Cette importante fête indienne, pendant laquelle les gens s’aspergent de poudre colorée, commémore le retour du roi Rama après son exil de quatorze ans – la vie de Rama est contée dans le Ramayana.

Bien que je ne sois pas porté sur les manifestations religieuses, ce moment fut magique : l’ambiance à l’intérieur du temple était très chaleureuse – les Indiens étaient ravis de la présence de deux étrangers parmi eux en ce jour de fête –, et nous suivîmes avec intérêt les offrandes et le rituel que le grand prêtre commandaient en l’honneur du dieu. Soudain la cérémonie prit fin : Rama quitta symboliquement son temple jusqu’au lendemain et la foule, silencieuse et calme, s’égaya d’un coup dans un nuage de poudre colorée. Je fus évidemment la cible des Indiens, hilares, qui ne voulaient pas manquer de dessiner des traces colorées sur mon visage, m’invitant à faire de même sur le leur – Katya quant à elle, craignant pour sa peau et ses vêtements, repoussa les assauts de nos hôtes, qui s’amusaient de voir une étrangère « effarouchée » par un peu de poudre…

Nous quittâmes le temple peu après, traversant la ville sous les sourires bienveillants des habitants et le regard surpris des touristes, qui se demandaient d’où nous pouvions revenir ainsi. Après une bonne toilette, nous nous abandonnâmes à nos rêves, emportés dans un tourbillon de couleurs et de bonheur que cette fabuleuse journée à Orchha avait soulevé en nous.