Un port bouillonnant et excitant

 

Dès les premiers pas, c’est le coup de foudre. Difficile de résister au charme de ce port ouvert sur l’Arctique ; à ses collines dominant le fjord de Kola ; à ses bateaux et à ses grues géantes, dont les silhouettes décharnées apparaissent derrière de longues rues soviétiques tirées au cordeau.

Ni le taxi qui vient nous cueillir « à froid » à la gare et nous soulager d’une belle somme après avoir imposé une excursion culinaire dans la ville, ni la pluie battante qui s’invite pour notre première sortie, ne peuvent amenuiser mon enthousiasme.

Notre appartement offre une vue imprenable sur la ville ; je pourrais rester des heures sur le balcon à observer la ville et le port ; tous ces êtres et ces machines qui s’agitent pour charger et décharger de lourds bateaux, bientôt repartis pour des odyssées fantastiques.

Nous rejoignons le centre, son avenue Lénine et sa place aux Cinq-Angles, agrémentée d’une jolie fontaine. Nous nous octroyons une petite pause crêpes avant le port, où mouille l’imposant brise-glace Lénine.

 

Les mystères de la péninsule de Kola

 

Il nous reste encore deux jours à Mourmansk. La ville me passionne, mais je ressens, plus fort que jamais, l’appel des terres du nord ; la toundra, la mer de Barents ; et cette péninsule de Kola, secrète et sauvage. Il faut inventer quelque chose. Notre magnifique étape aux îles Solovki nous a laissés sur notre faim. Ce voyage exige un point d’orgues.

La tâche n’est pas aisée : ni agences de voyages ni bureaux touristiques. Personne pour nous aider ou nous renseigner. Nous désespérons ; il faudra se contenter des musées de la ville.

Dernier effort, dernière chance : nous nous rendons à l’hôtel luxueux de la place des Cinq-Angles. Dans le hall, une femme nous répond sèchement : « je ne suis pas un bureau d’information ». Elle nous dirige néanmoins vers le premier étage. Dans le couloir, un présentoir attire mon regard ; je saisis au passage une carte de visite.

La réceptionniste est adorable. Elle nous donne quelques brochures et nous laisse disposer du téléphone de l’hôtel. Katya multiplie les appels, en vain. Reste cette petite carte de visite. Une toute petite carte pour changer le cours de nos dernières heures dans le grand nord…

 

Aliocha et le fantôme du Koursk

 

Quelque chose de grand semble – enfin – s’esquisser pour le lendemain. Peut-être trop grand ; on n’ose pas y croire ; pourtant, le temps presse désormais. Nous montons en minibus jusqu’à la colline où se dresse le monument Aliocha, en mémoire des terribles combats de la Seconde Guerre mondiale. La statue est impressionnante, tout comme la vue sur le fjord et la ville. Nous flânons au milieu des couples et des familles qui se promènent langoureusement. Le port, en contrebas, a des allures de monstre infernal crachant une fumée noire et agitant sans cesse ses mille bras d’acier embrasés par les rayons du soleil.

Nous redescendons de la colline en serpentant sur des sentiers qui surplombent la ville. Un dernier effort est nécessaire pour nous hisser jusqu’à l’église du Sauveur-sur-les-Eaux et au phare, construits en 2002 en l’honneur des marins disparus en mer, comme l’équipage du tristement célèbre sous-marin Koursk, dont un fragment a été placé là.

 

Nuit claire, nuit de gangster

 

Il est temps de rentrer. Nous remontons à l’instinct jusqu’à notre barre d’immeuble, tout en haut de la ville, suivant les lacets des routes construites sur la corniche. La fatigue me tiraille ; je rêve de siroter une bonne bière en admirant le coucher du soleil sur la ville. Nous trouvons un petit supermarché où nous ravitailler. Mauvaise surprise, je me fais refouler énergiquement à la caisse : la vente d’alcool est interdite après 21 heures ! Impossible de négocier ; la caissière a des airs de pitbull.

Nous apercevons notre immeuble ; je rumine en pensant à la bière que je ne boirai pas. Au pied du bâtiment, je déchiffre l’enseigne d’un petit magasin de boissons. Nous poussons la porte et pénétrons dans une pièce non éclairée, où l’on distingue faiblement les bières et divers alcools. Un homme entre enfin et nous demande ce que nous voulons. Nous demandons timidement : « c’est possible d’avoir une bière ? – Oui, bien sûr ». L’aplomb de la réponse est déconcertant. L’homme allume la lumière ; j’ai l’impression d’être dans un tripot d’Al Capone. Nous prenons nos bières et filons avec notre butin comme des gangsters.

Nous avons tout juste le temps d’ouvrir les bières pour assister au coucher du soleil. Il y a beaucoup de choses à faire avant le lendemain ; la nuit est claire, elle me tient compagnie jusqu’au petit matin, pendant que je travaille sur le site. A deux heures, le ciel commence à s’éclaircir ; le soleil ne va pas tarder à se lever ; il est l’heure d’aller me coucher.