Un lac grand comme la mer

 

Si longtemps que j’attendais ce moment : voir apparaître sur le lac Onega les tours et les coupoles des vieilles églises de bois de l’île de Kiji, ancien site rituel païen.

Il me faut patienter encore un peu : il y a un lac à traverser, et il est long et imposant.

Petrozavodsk disparaît dans la fumée de nos moteurs. L’hydroptère file à vive allure sur le lac. Bientôt il n’y a plus que de l’eau. L’horizon infini donne l’impression d’un départ en mer. Je profite de chaque instant, malgré la bruine, debout sur le petit pont de l’embarcation. Je tente quelques photos, recherchant des contrastes improbables dans ce tableau gris, où ciel et lac se confondent si facilement.

Des îles apparaissent ; des bandes de terre sauvages, couvertes d’arbres et de roche. L’horizon se rétrécit de plus en plus. Nous naviguons dans un archipel, duquel émergent parfois quelques maisons de bois. Soudain, trois clochers, trois tours se dressent devant nous. L’arrivée est merveilleuse.

 

Un voyage dans le passé russe

 

Malgré la pluie ; malgré le ciel gris ; malgré les travaux qui ont amputé la somptueuse église de la Transfiguration de quelques coupoles ; malgré les groupes de touristes, qui se pressent autour de nous ; malgré tout cela, la magie opère aussitôt.

Nous pressons un peu le pas pour semer les groupes et garder un peu de temps pour nous aventurer plus loin sur l’île. Le temps est compté sur cette île musée : horaires aller retour imposés – quatre heures sur place maximum et pas de possibilité d’hébergement !

Eglises du XVIIIe siècle, moulin, banyas, granges, demeures paysannes à l’intérieur fidèlement reconstitué : la visite de cet écomusée rassemblant des constructions venant de toute la région du lac Onega est passionnante. Le décor de rêve nous renvoie dans un passé nourri d’entraide et de traditions.

Une pluie battante nous contraint à nous abriter à l’extrémité sud de l’île, en compagnie de quelques canards aux becs gourmands. La pluie cesse vite, heureusement, et nous partons vers le nord, abandonnant le troupeau des visiteurs à leur circuit balisé.

 

La paix des villages de Iamka et de Vassilievo

 

Très vite, nous sommes seuls sur le chemin conduisant au village de Iamka. Ou presque, car nous apercevons le dos courbé d’une babouchka, qui s’en va devant nous sur le chemin, ajoutant une touche de douce mélancolie à ce décor champêtre, où les fleurs sauvages viennent épouser les eaux sombres du lac. C’est un passé idéal – et idéalisé – qui revit sous nos yeux.

Le village de Iamka, construit le long du lac, est peut-être encore plus enchanteur que la partie sud de l’île, un peu trop « préparée » pour les touristes. Dans ces maisons qui abritent les travailleurs saisonniers de l’île et les derniers habitants, on ressent la vie paisible de Kiji, qui s’écoule au rythme de l’eau du lac.

Nous poussons encore jusqu’au village de Vassilievo, jouant un peu avec le temps qui nous reste. Le chemin devient plus sauvage ; il faut se méfier des vipères, qui sont nombreuses sur l’île.

La beauté du lieu et l’envie d’en profiter jusqu’au bout valent bien un peu de stress pour notre retour vers l’embarcadère. Finalement, on a même le temps d’avaler quelques pirojkis infâmes avant de nous embarquer pour le « continent ».

 

Retour à Petrozavodsk

 

Je retrouve ma place sur le pont, profitant d’un rayon de lumière sur le lac et sur Kiji. Je patiente jusqu’à ce que la terre ait disparu. Le soleil perce timidement les nuages et vient chauffer mon visage. J’ai fait le plein d’images pour la journée. Je peux rentrer me reposer dans l’habitacle vieillot du bateau. Je ferme les yeux quelques minutes.

Le lac est bientôt traversé. Les cheminées d’usine et les grues de Petrozavodsk apparaissent bientôt par les hublots.

La journée a été belle. Kiji est apparue et repartie comme dans un rêve. Si seulement nous avions pu y dormir une nuit, pour nous abandonner aux réminiscences d’un passé au charme si puissant…