Les camarades de l’usine de Pierre

 

Un nouveau monde vient de surgir du néant ; il se nomme Petrozavodsk. Je traverse avec excitation la gare au style pompeux. Qu’y a-t-il derrière ces murs ? Quels secrets la ville garde-t-elle ?

Nous remontons l’avenue Lénine en traînant nos gros sacs. Les façades staliniennes, les passants tranquilles, les vieux trolleybus rouillés : tout me ravit.

L’appartement que nous avons réservé est étonnamment confortable et moderne, tranchant avec l’enveloppe fatiguée du bâtiment, qui a dû connaître plusieurs secrétaires généraux du parti communiste d’URSS.

Après avoir déjeuné dans une ambiance mexicaine, c’est l’heure d’aller saluer les camarades : l’avenue Lénine, la rue Engels puis l’avenue Karl Marx. Entre ces deux dernières, nous traversons la place Lénine – toujours lui – qui vaut surtout pour ses bâtiments circulaires datant de Pierre le Grand (XVIIIe siècle), fondateur de la ville et de ses usines à canons (Petrozavosdk signifie « l’usine de Pierre »).

 

Les eaux noires du lac Onega

 

Mon guide n’a pas menti : sans être fabuleuse, la ville est agréable. Verte, aérée, plutôt bien tenue pour une ville russe de province, on y flâne volontiers. Mais le meilleur est encore à venir : la rive du lac Onega, le second plus grand lac d’Europe après son voisin, le lac Ladoga. Nous achetons nos billets pour nous rendre à Kiji le lendemain et commençons une longue promenade le long du lac, subjugués par ses eaux noires.

Sculptures, gloriette, petites digues, parc d’attraction, salle de muscu en plein air : il ne manque qu’un café ou un glacier pour faire notre bonheur sous ce soleil généreux. Je reçois même un cadeau d’un forgeron nommé Nikolaï, qui nous a attiré dans son atelier. Et un cadeau en appelle un autre ; assoiffés, nous demandons à deux garçons, biélorusses, où acheter de l’eau ; un d’eux retourne à leur hôtel nous chercher une bouteille qu’il nous offre gentiment. Nous pouvons tranquillement prolonger notre rendez-vous avec le lac.

 

Une ville de parcs et de rivières

 

Nous remontons lentement vers notre logement en faisant un petit détour pour aller voir le petit cimetière juif et le monument aux soldats morts en Afghanistan. C’est l’occasion de traverser un des nombreux parcs de la ville, qui sont si sauvages qu’on pourrait se croire parti en randonnée au fond de la Carélie. La rivière, rougie par le fer, court au milieu d’un fouillis de verdure aussi charmant qu’inquiétant.

C’en est assez pour ce premier jour, qui s’achève dans la chaleur et le confort de notre appartement.

 

Kiji, la pluie et le lac rose

 

Le lendemain, nous nous réveillons trop tard ; petit déjeuner avalé à la hâte et course jusqu’au port, où nous attend notre hydroglisseur pour Kiji. La beauté de cette île célèbre valait bien cet effort (voir Kiji).

Le retour à Petrozavodsk en milieu d’après-midi est moins agréable : la grisaille et le petit crachin du matin ont laissé place à une pluie battante, qui inonde la chaussée. Pris au piège sous un arbre pendant de longues minutes, nous nous lançons sous les trombes d’eau et revenons trempés à la maison, malgré l’aide ponctuelle d’un minibus.

Le soir, la pluie s’est calmée. Nous nous offrons un dîner dans un restaurant carélien, dont les poissons nous laisseront un grand souvenir.

Quand nous quittons le restaurant, le ciel a pris des teintes rosées qui nous motivent à rejoindre le lac, pour une balade tardive inoubliable, tant le spectacle est saisissant. Le lac Onega est plein de poésie ; ses eaux noires et dures ont pris une teinte rose à rendre fou d’amour. Après cette belle rêverie, nous remontons l’avenue Lénine, profitant de l’atmosphère sympathique de la ville.

 

Le jour des musées et des surprises

 

Pour notre troisième jour à Petrozavodsk, nous avons choisi le musée de la République de Carélie. La visite est instructive sur le passé agité et les traditions de cette région disputée par la Suède et la Russie.

Dehors la pluie a fait son retour. Elle nous accompagne dans le parc Onezhskogo Traktornogo Zavoda jusqu’au petit musée polytechnique, où est expliqué le fonctionnement des usines de Pierre.

Nous faisons une dernière boucle dans la ville pour trouver la cathédrale Alexander Nevski. Nous nous perdons un peu, traversant la rivière encore et encore pour aboutir dans des quartiers improbables, dont la découverte compense la visite décevante de la cathédrale.

Le soir, avant notre départ, nous invitons Nadejda, notre logeuse, à boire un thé. On parle de la France, de l’Italie, de la Russie ; de politique évidemment, des sanctions, des journalistes, des opinions publiques de nos pays respectifs. Nadejda est charmante et nous aurions bien prolongé la discussion plus longtemps si notre train pour Kem et les îles Solovki avait pu nous attendre…