Une ville figée par l’hiver

 

La capitale disparaît derrière nous. Nous avons quitté ses lumières rassurantes pour entrer dans un désert blanc. J’observe les bouleaux et les pins chargés de neige qui défilent par la vitre de la voiture. Moscou n’est pas bien loin mais la Russie sauvage nous saute déjà au visage. L’homme peut-il vivre là ?

Pereslavl-Zalesski. Située sur l’Anneau d’Or à mi-chemin entre Moscou et Iaroslavl, la petite ville de 40000 habitants a des airs de gros village en hibernation. La neige et la glace ont figé le décor ; des ombres passent dans les rues ; la vie s’écoule en sourdine.

Notre hôtel international est bien prétentieux pour le lieu. Nous l’abandonnons vite pour glisser dans les rues vides, que la nuit voudrait emplir de son humeur noire. Guidés par la blancheur de la neige, qui lui résiste soir après soir, nous rejoignons le centre et un restaurant plus vide encore que la rue. Nous  traînons pour revenir, jouissant de la paix profonde de cette nuit d’hiver, à peine troublée par le bruit de nos pas qui craquent dans la neige.

 

Le lac Plechtcheevo et la flotte de Pierre

 

Le lendemain, nous commençons nos visites. La ville a une riche histoire. Elle a vu notamment naître le grand héros russe Alexandre Nevski, qui a remporté des batailles célèbres devant les Suédois et les Chevaliers teutoniques, ou conclu une paix salutaire avec la Horde d’Or, en train de ravager l’Asie et l’Europe. Son buste occupe naturellement le centre de la place Rouge de Pereslavl, juste devant la vieille cathédrale de la Transfiguration-du-Sauveur (1152).

Nous avançons dans la ville en passant d’une église à une autre, curieux et soucieux de se réchauffer. Nous longeons l’ancienne muraille de terre recouverte par la neige, qui offre un terrain de luge idéal aux enfants, puis le couvent de Nikoslki, avant de rejoindre l’imposant lac Plechtcheevo, qui est l’autre grand « héros » local. C’est sur celui-ci, en effet, que Pierre le Grand a initié son projet de constitution de la marine russe, faisant construire une centaine de bateaux, avec lesquels on s’entraîna aux manœuvres et aux combats navals.

Ce tableau est difficile à imaginer ; le lac est gelé et s’étend comme une longue plaque blanche à l’horizon, où l’on distingue des pêcheurs, affairés près des trous qu’ils ont creusés dans la glace. Pour mieux nous convaincre de cette page d’histoire, nous reprenons notre voiture pour aller visite le musée Botik, où est exposé le voilier Fortuna, survivant des essais « maritimes » de Pierre.

 

La Russie et son cycle éternel

 

Tout près de là, nous allons visiter le monastère Goritski, depuis lequel on embrasse du regard la ville et le lac. Avant de retraverser la ville dans l’autre sens pour une dernière visite au monastère Nikitski.

Nous reprenons la route de Moscou, la tête emplie d’images merveilleuses. La route traverse comme un corps étranger des forêts impénétrables. A demi mort sous la neige, c’est tout un monde qui attend son heure ; la vie se replie sur elle-même pour mieux jaillir à la fin de l’hiver. Pereslavl-Zalesski renaîtra ; les bateaux navigueront de nouveau ; le monde blême retrouvera ses couleurs ; et nous reviendrons là-bas, c’est certain, pour célébrer ce miracle de l’été russe, rendu plus beau encore pas un long hiver de patience et de silence.