Notre coup de cœur. Notre voyage nous aura apporté beaucoup d’émotions ; la majesté des montagnes suisses, le rayonnement de la Bavière, la poésie de la Bohême ; mais c’est cette petite ville de l’est de la Pologne, dont nous ignorions jusqu’au nom avant de préparer notre voyage, qui nous aura le plus séduit par sa parfaite alchimie.

Le choix de notre hôtel n’y fut pas non plus étranger. Nous nous arrêtâmes un peu avant la sortie de la ville, attirés par la réclame luxueuse d’un hôtel. Heureux choix : c’était le luxe à petit prix. Notre chambre spacieuse et douillette aurait mérité un plus long séjour, mais nous goûtâmes pleinement notre nuit dans ce petit palace.

Désireux de profiter des derniers rayons du soleil, nous partîmes aussitôt nous balader. Le jardin de l’hôtel donnait sur la Vistule, que nous avions retrouvée après l’avoir aperçue une première fois, quelques heures plus tôt, du côté de Sandomierz. Après avoir monté les quelques marches nous séparant de la digue et du fleuve, nous éprouvâmes une joie intense. Le paysage se mariait voluptueusement avec la lumière du soleil, qui, dans le dernier sursaut du soldat avant la mort, lançait de toutes parts des flèches d’or et de feu.

Nos pas s’écoulèrent lentement le long du fleuve, duquel nous nous détournâmes avec peine pour rejoindre le centre de la petite ville fondée au XIVe siècle par le roi Casimir, qui lui laissa son nom. Comme Sandomierz, elle profita du fleuve et de son activité commerciale pour s’enrichir. Et comme elle, elle dut pâtir d’une suite de catastrophes, invasions, épidémies et incendies, à la suite desquelles elle sombra dans l’oubli. Elle dut son salut à son charme intact et à l’amour que lui portaient les artistes et les architectes du début du XXe siècle, qui œuvrèrent ardemment à la restaurer.

Nous pûmes mesurer la prospérité que connut la ville à son apogée sur l’élégante place du Marché, où les maisons bourgeoises exhibaient fièrement la richesse des marchands qui les firent bâtir. Ses petits cafés et ses restaurants pleins de charme invitaient à se poser, laissant le soir venir en dînant tranquillement une bière à la main. Mais, en « chasseur de lumière », j’avais d’autres projets ; le soir et ses plaisirs gustatifs attendraient encore un peu.

Nous traversâmes la place et dépassâmes l’église Paroissiale afin de grimper jusqu’aux ruines du château, qui dominaient la ville depuis leur colline. Nous changeâmes nos plans et bifurquâmes peu après pour emprunter un sentier ardu qui menait aux Trois Croix, tout en haut de la colline. La vue sur la ville et la rivière, embrasées par le soleil agonisant, qui criait en couleurs tout son désespoir, était féerique. Nous restâmes un bon moment sur notre perchoir à nous emplir comme des enfants de la magie de l’instant.

Nous nous retirâmes avec l’astre solaire, parti naître et mourir sous d’autres cieux. Nous redescendîmes vers le château. Avant de gravir les marches qui y menaient, nous fîmes une étape à son pied, embrassant délicieusement du regard l’église paroissiale et la rivière, sur lesquelles tombaient, du ciel orphelin rosi par le chagrin, des larmes sèches et irradiantes. Nous montâmes jusqu’au château sous un déluge de couleurs.

Quand le ciel s’apaisa un peu, nous abandonnâmes la ruine et retournâmes sur la place du Marché, où la nuit avait ajouté un brin de mystère. Après un dernier coup d’œil du côté du fleuve, qui résistait encore un peu à la nuit, nous retournâmes à l’hôtel, où nous nous offrîmes un dîner romantique au son d’un piano qui semblait ne jouer que pour nous.

Le matin suivant commença au mieux, avec un petit déjeuner savoureux pris au soleil dans le jardin de l’hôtel. Nous décidâmes de profiter encore un peu de l’atmosphère merveilleuse de la ville. Nous fîmes une dernière balade le long de la Vistule avant de monter au Couvent de Franciscains, qui domine la ville sur la colline opposée à celle des Trois Croix. Nous repassâmes enfin par la place du Marché, aussi belle de jour que de nuit.

Puis il fallut partir. Le temps pressait désormais ; nous avions une très longue route à effectuer, qui devait nous mener jusqu’à Minsk, en Biélorussie. Et je craignais le passage de frontière où nous pouvions perdre beaucoup de temps et d’argent…