Welcome to the Jungle
La première partie du voyage en bus-couchettes fut vraiment difficile pour moi, car j’avais eu la mauvaise idée de boire une bière avant de prendre le bus sans avoir le temps de me rendre aux toilettes. Le bus était pourtant équipé de toilettes mais en y pénétrant une première fois je fus repoussé par l’odeur insoutenable à laquelle s’ajoutaient les secousses du bus, qui rendaient l’opération périlleuse. Je tentai d’oublier en travaillant sur mes photos dans une position peu agréable. La pause se faisant attendre encore et encore, je tentais une seconde « entrée » plus concluante malgré les conditions inchangées. Quel horrible moment ! Evidemment, le bus s’arrêta presque aussitôt pour la pause tant – trop – attendue.
Après cela, nous tentâmes de dormir tant bien que mal. La nuit fut courte. Je profitai de l’aube naissante sur les rizières derrière lesquelles, au loin, on devinait des montagnes. La beauté des paysages me consola un peu de la rudesse du couchage. Soudain, alors que nous n’étions plus très loin de notre destination, le bus s’immobilisa. Nous restâmes ainsi de très longues minutes. Il y avait une queue de voitures, de bus, de camions, devant et derrière nous. Nous finîmes par découvrir la raison de notre séjour prolongé : il y avait eu un accident et un bus avait quitté la route pour s’écraser en contrebas dans les rizières. Nous perdîmes une heure. Rien de dramatique eu égard à ce qui était arrivé aux passagers du bus accidenté ; juste quelques petits soucis pratiques puisqu’un taxi était censé nous attendre à l’entrée du bus.
Nous descendîmes du bus le cœur léger et constatâmes avec horreur et compassion que la plupart des touristes attendaient un nouveau bus pour continuer vers Ho-Chi-Minh. Nous nous éloignâmes un peu de ce petit « troupeau » pour respirer et tenter d’appeler la pension à laquelle devait nous conduire le taxi, qui bien entendu n’était plus là. Nous joignîmes la pension, qui trouva notre taxi et nous le renvoya où nous leur indiquâmes. Pendant ce temps, nous avalâmes un petit sandwich local et observâmes avec surprise que la plupart des gens qui déambulaient dans les rues étaient russes. Les devantures des restaurants, cafés et agences indiquaient par ailleurs « on parle russe ». Nous avions quitté le nord, ses routards et ses Français pour le sud et ses touristes de plage, dont les Russes sont des champions hors catégorie – peut-on leur en vouloir quand on doit subir chaque année un hiver rude et long ?
Le taxi nous rejoignit vite et nous partîmes pour une longue course – bien plus longue que nous pensions. Ce n’était pas pour nous déplaire : d’une part, le taxi était confortable et d’autre part nous avions tout fait pour nous éloigner de Nha Trang, que nous savions très touristique. A cette fin, nous avions réservé un bungalow dans une « célèbre » pension du nom de « Jungle Beach », située sur la plage de Doc Let, préservée du tourisme de masse.
Nous longeâmes d’abord la mer, aperçûmes les temples chams de Po Nagar avant de quitter la ville. Plus loin, nous abandonnâmes la route principale pour emprunter une route qui s’enfonçait au travers de marais salants. La route retrouva la mer et nous conduisit jusqu’à un site industriel peu engageant. Nous commencions à nous inquiéter un peu. Se pouvait-il qu’une pension ait ouvert ici ? Alors que la voie semblait sans issue, le chauffeur continua tranquillement sur une toute petite route que nous n’avions pas vue et qui avait des airs de bout du monde. Plus le temps passait et plus nous nous demandions où nous allions finir par atterrir.
Nous arrivâmes enfin dans un modeste village de pêcheurs. Nous poursuivîmes encore un peu jusqu’à la sortie de celui-ci et le chauffeur s’arrêta. « Jungle Beach ». Une entrée sans prétention. On vint nous chercher et après nous être acquittés du prix du taxi – élevé mais en rapport à la course –, nous fûmes rapidement présentés aux autres pensionnaires, qui prenaient leur petit-déjeuner à une grande table placée sous une imposante hutte, qui faisait office de bureau, de cuisine, de salon, de salle à manger et d’appartement pour le propriétaire canadien du complexe.
On nous emmena visiter « notre » chambre. La première impression fut plutôt négative. Le confort était sommaire ; l’intimité et la « sécurité » – de nos effets – tout autant. Nous avions demandé à avoir salle de bain et toilettes, quitte à payer plus cher, mais il fallut le rappeler. L’associé vietnamien du patron ne s’en offusqua pas et nous proposa plusieurs solutions. Nous retînmes une chambre avec salle de bain coincée entre deux autres plus simples et située non loin de la hutte principale, mais en retrait de la mer, que les pensionnaires semblaient se disputer – ah ! le bungalow sur la plage au milieu des cocotiers… A la place, nous avions la chance d’avoir un coin terrasse avec une jolie table en bois, deux chaises longues artisanales et un hamac qui donnaient sur le paisible et luxuriant jardin exotique aménagé par notre hôte. Ce dernier avait d’ailleurs tout réalisé de ses mains : constructions, mobilier, jardin, jeux pour enfants…
Après nous être installés et rafraîchis, nous allâmes prendre le petit déjeuner et notre premier bain à la « plage de la jungle ». Lovée dans son écrin vert, la plage de sable blanc et fin avait tout d’un paradis terrestre ; jusqu’à ce que nous posassions les pieds sur le sable brûlant. Une vraie torture. Etait-ce pour nous rappeler que rien ne saurait être parfait en ce monde ? La mer, avec ses eaux turquoises, chaudes et cristallines, n’était pourtant pas loin de la perfection. Un peu trop même, car la baie, protégée du mauvais temps, me semblait un peu calme après les belles vagues de Hoian.
Un peu plus tard, on vint nous chercher sur la plage pour nous indiquer que le déjeuner allait être servi. Ce fut notre premier repas « communautaire » : trois fois pas jour, à l’occasion des repas, tous les pensionnaires se retrouvent à une longue table, où les contacts se nouent vite. Ici toutes les langues se mélangent et se fondent à la fin en un « anglais » vulgarisé et massacré, dont la beauté réside dans les liens miraculeux qu’il noue entre tous. Suédois, Allemands, ex-Allemands de l’Est – c’est important, car ils parlaient russe et nous contèrent leurs aventures « soviétiques » –, Anglais, Néerlandais, Canadiens, Grecs – et Vietnamiens – partagèrent nos repas et nous offrirent de sympathiques moments. Parmi tous ceux-ci, nous retenons surtout notre rencontre avec Liberty et Alexis, un couple de Londoniens qui étaient partis pour un séjour d’un an en Asie du Sud-Est et qui nous racontèrent quelques-unes de leurs expériences et nous donnèrent quelques conseils – ils connaissaient très bien la pension, où ils avaient passé près d’un mois – ainsi que notre rencontre avec Olivier et Carla, un couple de Québécois, qui confirmèrent encore un peu – si besoin était – tout ce que j’avais entendu sur la gentillesse de ce peuple.
L’après-midi, nous partageâmes notre temps entre la plage et notre petite terrasse, où Katya s’alanguit lentement dans le hamac, bercée par les caresses molles du vent et le bruissement léger des palmes vertes, pendant que je travaillai sur mes photographies. En milieu d’après-midi, on nous apporta des fruits frais, que nous savourâmes comme les plus fins des mets tant la chaleur était forte.
Le soir, un peu trop tôt à mon goût – c’est ainsi dans beaucoup de pays –, on nous servit un bon dîner pendant lequel nous fîmes connaissance de Liberty et Alex. Un peu plus tard, nous rejoignîmes notre bungalow et notre lit de fortune, autour duquel nous prîmes bien soin de refermer la moustiquaire, compte tenu de la flore – et donc de la faune – qui nous entourait et du confort rustique de notre chambre, dont chaque mur présentait des ouvertures sur l’extérieur.
Un bain de lumière à minuit
Le lendemain, le programme fut à peu près le même. Petit déjeuner, plage ; déjeuner, plage, terrasse, plage ; dîner et discussions « canado-russes » avec Olivier et Clara. Etrangement, nous ne fîmes rien ou presque et la journée passa à une vitesse incroyable, rythmée par les repas successifs. J’avais l’impression de passer de la table à la plage et inversement, sans avoir le temps d’apprécier l’une ou l’autre. Moi qui pensais pouvoir jouir de beaucoup de temps pour me détendre et pour rattraper mon retard sur le site, je m’aperçus avec déception et surprise que le temps ici semblait répondre à une autre logique, et qu’il était vain de s’y opposer.
Sur les conseils de Liberty et Alex, nous allâmes prendre un bain de nuit, pour une expérience extraordinaire – un grand merci à nos amis pour le tuyau ! La mer était remplie de plancton luminescent, qui lorsqu’on s’agitait rendait l’eau phosphorescente tout autour de nous. Nous entendions au loin une musique technoïde venue d’un complexe voisin ; la musique et les milliers de petites lumières dans l’eau se mariaient au mieux pour produire la plus inattendue des discothèques. Un moment de pure magie, malgré les petites morsures – sortes de petites décharges électriques – provoquées par le plancton. Nous restâmes un long moment à nous amuser comme des enfants, subjugués par cet étrange phénomène.
Echappés de Jungle Beach
Le lendemain, nous commençâmes notre journée tout aussi tranquillement que les précédentes. Petit déj, baignade, déjeuner… Mais après celui-ci nous quittâmes le « camp », où, je dois l’avouer, je commençais à étouffer un peu. Besoin d’aventure – même légère – et de découvertes ! Nous partîmes donc à pied, en pleine chaleur, sur la route qui longeait notre pension pour aller serpenter le long de la mer, au pied des pics recouverts de jungle. Nous comptions nous rendre à une cascade dont l’accès était indiqué sur les murs de la pension. Hélas, nous ne trouvâmes pas – avec certitude – l’accès du sentier qui y conduisait ; de plus, Katya avait choisi des chaussures ouvertes qui rendaient toute aventure dans la jungle irréaliste.
Un peu désemparés, nous poursuivîmes notre randonnée « extrême » sur l’asphalte brûlant, dont la pente se raidissait de plus en plus. Après vingt minutes de marche et un beau point de vue sur la baie, nous fîmes demi-tour et nous arrêtâmes en route sur une plage vierge de touristes, où seuls des petits chalutiers s’agitaient par instant. Nous passâmes les masques et les tubas que nous avions empruntés à la pension, espérant découvrir une faune et une flore intéressantes.
Ce que nous découvrîmes fut bien au-dessus de nos espérances : il y avait toute une vie étrange là-dessous ; des poissons de toutes les couleurs et de toutes tailles, des coraux et même des plantes inquiétantes à l’allure de tentacules de calamar géant… De quoi effrayer un peu Katya, qui retourna se sécher sur le bord pendant que je continuais mon exploration, excité comme la veille au soir avec le plancton. Je restai près d’une heure à souffler dans le petit tube de plastique les yeux rivés vers le fond marin, ne faisant de pauses que lorsque l’eau commençait à gêner ma respiration.
Je sortis enfin pour profiter des derniers rayons du soleil avant qu’il ne se cachât de l’autre côté de la montagne. Nous retournâmes à notre pension, où nous arrivâmes un peu avant le dîner. Le soir, nous parlâmes longuement de la RDA avec des pensionnaires allemands et de leurs aventures improbables de « chercheurs d’or » au fin fond de l’URSS. Nous jouâmes encore un peu avec eux à un jeu de chiffres allemand puis nous les abandonnâmes, car nous avions prévu de nous lever très tôt, sur les conseils d’Alex et Liberty, pour profiter du lever de soleil sur la mer. Avant d’aller nous coucher, nous fîmes la connaissance de deux nouveaux « amis » qui s’étaient invités dans notre salle de bain : une « petite » araignée d’une douzaine de centimètres d’envergure – que je dus faire fuir deux fois en lui jetant de l’eau – et un crapaud.
La plage, encore la plage... toujours la plage...
C’est ainsi que nous nous retrouvâmes à cinq heures sur la plage pour assister au lever du Sieur Soleil, qui, il faut bien l’avouer, fut majestueux. Le spectacle fut vraiment enchanteur et romantique, malgré l’activité inattendue qui agitait la plage : sportifs, promeneurs, travailleurs, tout le village semblait s’être donné rendez-vous sur la plage. Malheureusement, les chiens de la pension, qui remplissaient leur rôle de gardien avec dévotion, grognaient, montraient les dents et défiaient frontalement chaque badaud qui passait près de nous. Au point que certains d’entre eux durent ramasser un bâton sur la plage pour se défendre…
Nous attendîmes que le soleil se levât lentement au-dessus de l’horizon et vînt se refléter dans les eaux encore endormies ; et fraîches, comme je m’en aperçus en improvisant un bain matinal.
La journée se passa un peu comme toutes les autres. Petit déj, baignade, déjeuner, sieste, travail sur le site et les photos pour moi… Un peu « fatigué » de cette « routine » pour laquelle certains paient très cher, je proposai à Katya d’aller nous promener sur la plage jusqu’au village de pêcheurs. Cette balade nous offrit un peu de distraction et nous donna l’occasion d’assister aux activités locales – pêcheurs, trieurs, manutentionnaires – mais aussi de voir les enfants s’amuser et les plus vieux se détendre au café. Un moment très agréable si la plage où nous marchions n’avait pris des allures de poubelle géante – aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’écologie n’est pas vraiment une préoccupation asiatique...
Le soir après le dîner, avec nos amis canadiens, nous allâmes nous offrir un dernier bain nocturne afin de profiter du spectacle toujours aussi incroyable du plancton luminescent.
L’aventure « Jungle Beach » touchait à sa fin. Nous nous endormîmes une dernière fois dans notre charmante paillote « ouverte » sur la jungle, pas mécontents tout de même à l’idée de dormir dans une vraie chambre et un vrai lit le lendemain.
Je découvre autrement que lors des documentaires que je peux voir à la télé, et j'aime, j'aime, j'aime... Je pense bien à vous et vous embrasse.